Les analystes ont dans un premier temps imputé le retour de ce phénomène à des chocs externes, avant que l’adoption par Bank Al-Maghrib d’une politique monétaire rigoureuse ne mette un terme à cette explication pour le moins simpliste.
Dans cette série d’articles, nous avons analysé dans le détail cette inflation, chiffres à l’appui, et nous en expliquerons les causes et proposerons au gouvernement quelques pistes de mesures pour en venir à bout.
Le dernier article de cette série est consacré aux solutions que nous préconisons pour une lutte qui s’inscrit dans la durée.
Pour rappel, l’inflation est la hausse générale, continue et autoentretenue des prix. Ainsi, toute inflation se manifeste par une hausse des prix, mais toute hausse des prix n’est pas forcément inflation. Au Maroc, comme partout dans le monde, cette inflation est d’origine monétaire. Elle a été déclenchée par la pandémie de la Covid-19 et accélérée par la crise énergétique et l’agression russe en Ukraine.
Que faire maintenant?
Poser le bon diagnostic est le début de la solution. S’agissant d’un déséquilibre macroéconomique, les leviers à activer pour juguler l’inflation ne peuvent relever que de la politique économique.
À ce titre, la décision de Bank Al-Maghrib de relever le taux directeur était nécessaire, mais tardive d’au moins deux trimestres. En politique économique, le timing d’une décision est plus important que la décision elle-même, compte tenu des anticipations ou des réactions des agents économiques qui peuvent annuler la plus brillante des décisions.
Car contrairement à ce que dit M. Jouahri: «Il vaut mieux payer un prix léger en agissant rapidement sur l’inflation à travers le relèvement du taux directeur, plutôt que d’attendre de la voir se généraliser et durer dans le temps», l’inflation s’est bel et bien installée, et nous sommes désormais dans le curatif plutôt que dans le préventif (qui est la marque d’une bonne politique monétaire). On aurait dû tenir un tel discours et prendre une telle résolution quand l’inflation était à 5% aux alentours du mois mars 2022. Mais avec un taux de 8% et une pente haussière, on est presque dans l’inflation galopante (taux à 2 chiffres).
D’autre part, le relèvement de 50 pbs d’un seul coup n’est pas «un prix léger à payer». C’est déjà une mesure assez forte, même si d’autres doses pourraient s’avérer nécessaires. L’augmentation de 75 pbs, comme cela a été discuté lors du Conseil d’administration de BAM et heureusement évacué, aurait été catastrophique. Un prix léger à payer est un accroissement progressif de 25 pbs par trimestre.
Par ailleurs, affirmer que «malgré cette hausse de 50 pbs, l’impact sur la croissance du PIB sera limité entre 0,1 et 0,2% maximum» est au mieux imprécis. Car si le wali de la Banque centrale s’est appuyé sur les mêmes modèles économétriques qui avaient prévu une inflation à 2% en 2023 pour émettre cette hypothèse, qu’il nous soit permis de douter fortement de sa validité scientifique.
Aujourd’hui, personne ne peut prédire la vitesse de transmission de cette mesure (temps s’écoulant entre la hausse du taux et son impact sur les crédits et sur les prix), ni son impact réel sur l’investissement et la consommation, et encore moins sur le mouvement des prix. Et pour cause, nous manquons du recul historique nécessaire; la dernière augmentation du taux directeur remontant à 14 ans. Et il faut voyager 36 ans dans le temps pour croiser un taux d’inflation aussi élevé. Nous sommes encore au stade de l’observation des effets d’une telle décision qui ne commencera à produire ses effets que dans quelques mois. Toute anticipation, dans ce contexte, relèverait de la spéculation.
Entre prendre une décision monétaire et en voir l’impact, il y a plusieurs phases à franchir. La vitesse de transmission dépend d’une pluralité de paramètres, dont essentiellement l’ajustement par les banques et la réaction (ou anticipation) des agents économiques. Mais globalement, la diffusion est plus lente sur les prêts à long terme par rapport aux prêts à la consommation et aux prêts à moyen terme. De même, elle est fortement influencée par les facteurs macroéconomiques et institutionnels du pays et par la profondeur de son marché des capitaux.
Si les agents économiques anticipent une décision monétaire (ou budgétaire), ils prennent leur disposition, ce qui en annule les effets ou du moins les réduit considérablement.
Mais ce qui est urgent à ce stade, c’est de continuer à freiner autant que faire se peut la progression de la masse monétaire par rapport au PIB, ou du moins aligner la hausse des deux dans un premier temps. Et dans ce cas, c’est Bank Al-Maghrib qui doit agir en asséchant les liquidités par une politique monétaire restrictive (hausse des taux directeurs et de la réserve obligatoire). Ainsi, à l’instar des solutions mises en place par plusieurs autres pays, la masse monétaire en circulation au Maroc doit reprendre un niveau d’augmentation dans la ligne du PIB. L’inconvénient de cette mesure c’est qu’elle va conduire à une récession économique. Mais c’est un mal momentané pour un bien durable et une lutte efficace contre l’inflation.
Toutefois pour en venir à bout, l’instrument monétaire est certes nécessaire, mais pas suffisant.
Le deuxième levier qu’il faut actionner concerne le dispositif budgétaire, notamment le projet de loi de finances (PLF). Les mesures budgétaires et monétaires doivent aller dans le même sens. En d’autres termes, le gouvernement doit mener une politique de rigueur, en maîtrisant son déficit budgétaire par le contrôle des dépenses publiques. Toute augmentation de ce déficit risque d’accélérer davantage l’inflation. En effet, si l’État poursuit le rythme de dépenses publiques (fonctionnement et investissement) prévu dans le PLF, il créera de la demande publique, augmentera la demande finale et alimentera la spirale de hausse des prix.
Ainsi, la décision du ministère de l’Économie et des Finances de maintenir le calendrier de réalisation de tous les chantiers qu’il a prévus et de les financer par une augmentation des impôts risque d’exacerber la crise actuelle. D’abord, cela risque de ralentir davantage la croissance de la production par rapport à la masse monétaire, dont l’expansion sera nourrie par la hausse de ces mêmes dépenses publiques.
Le gouvernement doit maîtriser le déficit budgétaire, en contrôlant l’évolution des dépenses publiques pour réduire le niveau de la demande globale et calmer le mouvement des prix à la consommation, et ce, sans recours à une sanction fiscale. Cette dernière ne fera que freiner l’investissement et la production. L’Exécutif est appelé à mettre de l’ordre dans les priorités, en limitant les dépenses publiques aux projets strictement nécessaires au soutien de l’offre.
Avec le PLF 2023, le gouvernement ne s’aligne pas sur l’appel de Sa Majesté le roi Mohammed VI au secteur privé, l’exhortant à assumer ses responsabilités. Il envoie en revanche des signaux contradictoires. Pour que ledit secteur s’engage davantage en termes d’investissement, lui imposer une augmentation des impôts serait un très mauvais signal. Aujourd’hui, au lieu d’augmenter le taux d’impôt sur les catégories déjà fortement imposées, il faut financer les dépenses par l’extension de la base imposable et la généralisation des impôts aux catégories qui y échappent alors qu’elles opèrent dans des secteurs ayant pignon sur rue.
La lutte contre l’inflation est à peine entamée, et on peut mettre une longue période avant d’en venir à bout. À titre de référence historique, l’inflation du début des années 70 n’a été contenue que vers la fin des années 80, c’est dire le chemin à parcourir. Plus tôt on commencerait le travail, mieux c’est. Les facteurs clefs de succès en la matière peuvent se résumer en trois mots:
- Conscience de l’essence du phénomène et de l’ampleur du problème.
- Alignement des différentes politiques sur le même objectif de juguler l’inflation.
- Célérité dans l’action, car tout retard ralentirait considérablement les délais de sortie et en renchérirait le coût.