A l’instar de Maroc Telecom qui a hérité d'une bonne partie de l’infrastructure de l’Etat marocain, Orange est l’héritier du réseau historique cuivré de France Télécom. Par conséquent, aussi bien Maroc Telecom qu’Orange sont tenus de laisser leurs concurrents accéder à leurs infrastructures. Seulement voilà, le constat est le même dans les deux pays, Orange (France) et Maroc Telecom (Maroc) refusent l’accès de leur réseau cuivre aux autres opérateurs.
Mais contrairement à l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (Anrt) laquelle, visiblement, n’a plus de "régulateur" que le nom, son alter ego français, soit l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), ne s’est pas désengagé de ses responsabilités dans ce dossier.
Trois mois à peine après une première mise en demeure, l'Arcep vient de publier sur son site une nouvelle décision, sermonnant à nouveau Orange, accusé de ne pas respecter son obligation de proposer un accès au réseau cuivré dans de bonnes conditions. Orange a naturellement tenté de justifier la situation, mais l’Arcep estime qu'aucun des arguments avancés n'est «de nature à l'exonérer de son obligation, ni à remettre en cause le constat d'un manquement à cette dernière».
Lire aussi : Dégroupage: inwi réclame 5,7 milliards de dirhams à Maroc Telecom
La décision de l’Arcep s’étend sur une cinquantaine de pages avec un message clair et précis. «Après des années de récriminations des concurrents, l'Arcep a fini par ouvrir une enquête sur les pratiques d'Orange en décembre 2017. Et le gendarme n'a pas été satisfait, ni de ce qu'il a découvert, ni des réponses apportées par Orange. Une procédure de sanction a été ouverte en septembre et la mise en demeure est tombée le 18 décembre», résume le quotidien économique français Les Echos.
Conséquence logique de cette nouvelle mise en demeure, Orange est tenu de respecter son obligation «en redressant le niveau de service de ses prestations». Concrètement, à compter du 1er octobre 2019, l'opérateur sera fermement tenu d'atteindre les taux de respect minimaux fixés pour un certain nombre d’indicateurs, dont le taux d'échec d'accès à la boucle locale ou encore les délais de construction de ligne.
Afin de s’assurer d’une amélioration rapide, l’Arcep a en outre imposé des objectifs intermédiaires pour les trois premiers trimestres de 2019. Faute de quoi, Orange pourrait être sanctionné d’une amende pouvant atteindre 5 % du chiffre d'affaires de l'opérateur en France, soit près de deux milliards d'euros.
Le sérieux dont a fait preuve l’Arcep pour inciter Orange à faire cesser ses pratiques malsaines laisse pantois les observateurs du marché marocain des télécoms. Et pour cause, les deux opérateurs locaux, inwi et Orange (ex-Méditel), n’ont eu de cesse de dénoncer les pratiques anticoncurrentielles de Maroc Telecom, similaires à celles pour lesquelles le français Orange a été tancé par l’Arcep. Se croyant au-dessus des lois, Maroc Telecom, dirigé par l’indéboulonnable Abdeslam Ahizoune, a toujours refusé de mettre fin à ces pratiques jugées discriminatoires, notamment en matière de dégroupage et d’accès à l’infrastructure pour les services ADSL (délais longs, des coûts plus élevés et une qualité de service moindre).
Le dégroupage, loin d’être un luxe, est une nécessité vitale pour les opérateurs télécoms. La duplication d’une infrastructure fixe et d’une boucle locale n’ont aucun sens économique, en plus d’être une hérésie en matière d’aménagement urbain (nouvelles tranchées, nouvelles prises dans les foyers, etc.). C’est dire que l’Anrt, de par sa vocation de gendarme, devrait naturellement astreindre l’opérateur historique à respecter ses engagements et à garantir une véritable ouverture du marché.
Lire aussi : Le secteur des télécoms au Maroc dans l’impasse
Inwi et Meditel, devenu Orange, ont tenté tous les recours possibles contre Maroc Telecom, en vain. Fort de la quasi-absence de l’Anrt, dont l’actuel directeur a complètement renoncé à son rôle de gendarme, Ahizoune a opposé une indifférence pour le moins étonnante aux appels de ses deux concurrents. La situation n’a pas changé d’un iota depuis plusieurs années, et le statu quo s’éternise.
Inwi avait d’abord alerté l’Agence nationale de réglementation des télécoms (ANRT) à ce sujet. Et celle-ci avait bien adressé un avertissement à Maroc Telecom en 2016, alors qu'elle était dirigée par Azzedine El Mountassir Billah, au sujet de ses réticences à mettre en place une offre de dégroupage compétitive. La menace d’une sanction de l’opérateur historique a même été brandie par l’ANRT en 2016. Mais depuis le départ de l’ancien DG de l’ANRT, l’instance de régulation des télécoms au Maroc s’est complètement dessaisie de sa mission, au plus grand bonheur de Maroc Telecom qui continue, en toute impunité, à exercer un monopole de facto sur le secteur des télécoms.
Face à l’indifférence de l’Anrt qui refuse d’accomplir la mission qui est la sienne, inwi a décidé de poursuivre en justice Maroc Telecom pour abus de position dominante. Inwi réclame à l’opérateur historique 5,7 milliards de dirhams de dommages et intérêts. Pour l’heure, soit dix mois après le dépôt de plainte, la justice n’a pas encore dit son dernier mot.
Quant à l’Anrt, elle donne de plus en plus l’impression d’être une agence qui soit sert les intérêts de Maroc Telecom, soit elle est tétanisée par la toute-puissance d'Ahizoune, lequel, qui plus est, et selon nos sources, s’enorgueillit, en privé, d’avoir fait tomber l’ancien DG de l’Anrt.
Résultat : les télécoms qui étaient l’un des domaines les plus innovants au Maroc sont sous la tutelle d’un monopole archaïque, qui ternit l’image du Maroc et fait mal au portefeuille des consommateurs.