Minerais critiques et stratégiques: ce qu’il faut retenir du rapport du CESE

Une mine de potasse.

Le Maroc se positionne en leader mondial dans le domaine des phosphates et parmi les premiers producteurs africains d’autres minerais, mais il dispose d’un énorme potentiel qui reste encore à développer sur d’autres segments. Voici la recette du Conseil économique, social et environnemental pour développer l’industrie minière.

Le 30/03/2023 à 22h45

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a présenté, mercredi 29 mars 2023, son rapport intitulé «Les minerais stratégiques et critiques contributeurs à la souveraineté industrielle du Maroc». En plus de scruter ce secteur, le travail mené par le Conseil a également abouti à la définition d’une liste exploratoire, provisoire, des minerais stratégiques et critiques pour le Maroc.

Il s’agit de 24 minerais essentiels pour le développement de 11 domaines à portée stratégique pour l’avenir du pays, dont notamment les énergies renouvelables, les technologies de l’hydrogène vert, la sécurité alimentaire, la santé et les industries pharmaceutiques, les technologies digitales et électroniques, les drones, l’aéronautique et la défense…

Minerais considérés comme critiques
vu qu’ils satisfont les critères de criticité conventionnels (dépendance à l’import,
concentration géographique des producteurs et leur faible stabilité politique et présence de restrictions à l’export)
Minerais considérés comme
stratégiques
sur la base des critères
de la disponibilité géologique au Maroc
et de la présence du minerai en question dans la liste des minerais critiques de nos principaux partenaires
Minerais rajoutés au niveau de la liste en référence aux opérateurs publics et privés auditionnés
AluminiumBarytesCuivre
BoratesCobaltNickel
Chrome (Ferro-Chromium)FluorsparPotasse
EtainManganèseSoufre
GermaniumPhosphatesTitane
Graphite
Lithium
Magnésite
Molybdène
Niobium (Ferro-Niobium)
Sélénium
Silicium
Terres rares
Tungstène

Un secteur à fort potentiel

L’industrie minière est une industrie à fort apport économique et social, souligne le CESE: «L’importance de l’écosystème minier marocain est perceptible à travers son poids rapporté au PIB, estimé autour de 10%, les emplois directs générés, environ 49.500, et sa contribution aux exportations nationales à hauteur de 26% en valeur.»

Toutefois, malgré un fort potentiel et une géologie diversifiée, le secteur minier au Maroc reste «sous-exploité». En effet, le Royaume se positionne en chef de file mondial dans le domaine des phosphates et parmi les premiers producteurs africains d’argent, de barytine et de cobalt, mais pour les autres minerais, la production nationale reste très limitée, observe le rapport, évoquant comme causes l’insuffisance des efforts en matière d’investissement et de renforcement des travaux d’exploration en amont ainsi que l’absence de toute investigation ou de toute information officielle sur le potentiel minier de l’espace maritime marocain, y compris celui de nature stratégique et critique.

Par conséquent, plusieurs gisements potentiels restent non identifiés et non exploités. Le CESE donne l’exemple du mont Tropic, un paléo-volcan situé au large des provinces du sud du Royaume, qui est décrit comme présentant «un grand potentiel en fer, manganèse et surtout en cobalt et tellure».

Une chaîne d’approvisionnement «vulnérable»

Le développement de l’écosystème des minerais stratégiques et critiques au Maroc fait face à la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement. Alors que les capacités de production et de valorisation locales hors phosphates sont en «stagnation», voire en «régression», le Royaume reste fortement dépendant de l’importation. «Sur les 24 minerais stratégiques et critiques identifiés, le Maroc affiche une dépendance totale à l’importation pour 17 d’entre eux, soit 74% de la liste», détaille le CESE.

De ce fait, le Maroc est exposé à une multitude de chocs externes, surtout que son approvisionnement en minerais stratégiques dépend d’un nombre extrêmement limité de fournisseurs concentrés sur des zones géographiques spécifiques. «Cette forte dépendance à l’étranger risque de fragiliser les secteurs nationaux qui dépendent de ces minerais en cas de choc géopolitique, logistique ou économique», alerte la même source.

Insuffisance de la valorisation et du recyclage

Le développement de l’écosystème minier se heurte également au problème de l’insuffisance de la valorisation de nombreux minerais à portée stratégique. En effet, sur les 24 minerais stratégiques et critiques identifiés, seuls 6 font l’objet d’une industrie de valorisation via des procédés de raffinage ou de production de composés chimiques. Aussi, 14 de ces minerais sont importés à hauteur de 90% à 100% sous forme de produits raffinés, traités ou transformés, plutôt que de produits sous forme brute ou de concentré, selon le CESE.

En revanche, les exportations minières marocaines, à l’exception des phosphates, consistent essentiellement en des concentrés et des produits bruts.

Le CESE souligne la faiblesse de la part du recyclage et de la valorisation des déchets miniers et industriels pour générer une production secondaire nationale et atténuer ainsi, au moins en partie, la dépendance aux importations. En se référant aux estimations du Plan national pour la valorisation des rejets miniers, publié en mars 2021, le potentiel à exploiter serait considérable, puisque le secteur minier marocain a produit environ 3,5 milliards de tonnes de rejets entre 1968 et 2015 et devrait atteindre plus de 6 milliards de tonnes à l’horizon 2030. Pourtant, le recours au recyclage demeure limité et faiblement généralisé.

Des obstacles transverses

A l’exception des phosphates, pour lesquels le Maroc dispose de très grandes réserves, pour les autres minerais, les gisements connus, exploités ou en cours d’exploitation, sont dans l’ensemble, de taille modeste, souligne le CESE. A cette contrainte s’ajoutent d’autres liées essentiellement à la lourdeur et la complexité des procédures de gestion du patrimoine minier, à l’absence de mesures fiscales incitatives adaptées à la spécificité de l’activité minière notamment lors des phases d’exploration et de valorisation minières, ainsi qu’aux difficultés d’accès à un financement adéquat, particulièrement pour les TPE et PME minières.

Dans l’avenir, le secteur risque aussi de faire face à un déficit en compétences dans les métiers de la mine, aussi bien en termes d’ingénieurs que de techniciens spécialisés et ouvriers qualifiés. En cause: l’insuffisance et l’inadéquation de la formation. Le CESE signale, à titre d’exemple, que la seule formation qualifiante dispensée actuellement au Maroc pour la catégorie des techniciens spécialisés ne répond pas à la demande du marché.

En plus du risque de déficit en compétences, le développement du secteur reste freiné par le manque de synergies entre les institutions marocaines de formation et de recherche et le secteur privé, sans parler de l’absence de budgets pour la R&D.

Six axes d’action

Afin de permettre au secteur des minerais stratégiques et critiques de jouer pleinement son rôle et contribuer à la souveraineté industrielle du pays, le CESE préconise une série de recommandations réparties en 6 axes.

Dans un premier temps, il s’agit d’améliorer le cadrage stratégique et institutionnel régissant les activités minières, à travers la définition d’un modèle national pour l’exploitation et la valorisation responsable et durable des ressources minières en général et des minerais stratégiques et critiques en particulier. Ce dernier devrait se baser sur une gouvernance participative, convergente et transparente entre l’Etat, les territoires, le secteur privé et la société civile.

Le deuxième axe consiste à dé-risquer le secteur minier pour les investisseurs et améliorer son attractivité, à travers une stratégie de financement adaptée, un mécanisme de soutien public et l’allègement des procédures administratives.

Le troisième axe porte sur le renforcement et la promotion de la productivité du secteur autour de la R&D, du capital humain et de l’organisation des PME-TPE, tandis que le quatrième consiste à sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minerais critiques et réduire la vulnérabilité aux sources externes.

Le CESE préconise aussi de promouvoir une valorisation nationale des minerais stratégiques et critiques pour un meilleur positionnement au niveau des chaînes de valeurs liées à la transition énergétique, numérique et aux orientations du Nouveau modèle de développement.

Le Conseil insiste, enfin, sur le développement du caractère inclusif et durable du secteur minier, notamment en intégrant les principes de la performance environnementale et sociale. Il appelle, plus précisément, à faire de la question des ressources hydriques une priorité majeure dans le processus du développement minier, en ciblant l’autonomie hydrique des exploitations minières dans un cadre d’efficacité hydrique générale, ainsi qu’en participant à l’effort de l’alimentation en eau des territoires et populations dans les zones minières.

Par Lina Ibriz
Le 30/03/2023 à 22h45