Pendant que la crise inédite entre le Maroc et l’Espagne prend de l’ampleur, les craintes vont croissant de la voir déborder des sphères politiques et diplomatiques pour déteindre sur les cercles économiques. Depuis le week-end dernier, les réseaux sociaux pullulent d’appels au boycott de produits espagnols. Un appel à la mobilisation qui n’a aucun sens, selon ce chef d’entreprise, dont le secteur d’activité dépend essentiellement de la matière première provenant du voisin du nord. «C’est irresponsable que d’appeler à un tel boycott. Les rapports économiques entre nos deux pays sont aussi étroits que le détroit qui nous sépare géographiquement», soutient-il.
Premier partenaire commercialDepuis plusieurs années déjà, l’Espagne a damé le pion à la France en tant que premier partenaire commercial du Royaume. Sur les 775 milliards de dirhams qu’ont totalisé nos échanges, en 2019, près d’un tiers a été effectué directement avec le pays voisin. «A cela s’ajoutait une dizaine de milliards de dirhams de contrebande de produits espagnols qui inondaient le marché marocain via Sebta à Mellilia, avant leur fermeture par les autorités marocaines», rappelle notre source.
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Sur la base des chiffres officiels, le Maroc est le premier client africain de l’Espagne, et le deuxième au niveau mondial hors Union Européenne. C’est un de nos principaux fournisseurs de gaz et de pétrole avec des importations de combustibles atteignant certaines années les 15 milliards de dirhams. C’est aussi le deuxième vendeur de voitures de tourisme et de matières plastiques au Maroc, ainsi que le premier fournisseur de tissus et d’huile de soja.
En flux inverse, l’Espagne est le premier client du Royaume en produits de la mer, d’engrais, de fils et câbles électriques, de produits textiles mais aussi en tomates fraîches ou en acide phosphorique. Selon les projections de la CGEM, ces flux commerciaux entre le Maroc et l’Espagne devaient doubler d’ici 2025 pour frôler les 265 milliards de dirhams.
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Le voisin ibérique est par ailleurs le troisième investisseur étranger au Maroc, après la France et les Emirats avec un stock d’IDE avoisinant les 52 milliards de dirhams. Ces investissements, portés par près de 600 entreprises, et assurant 20.000 emplois directs, couvrent une multitude de secteurs.
Investissements variésDans l’automobile, les Espagnols ont su se positionner dans tous les segments de la chaîne de valeur. Cela va du revêtement des intérieurs de véhicules ou de la fabrication de sièges, à la conception de systèmes de sécurité, en passant par le traitement des plaques en acier ou l’injection plastique. D’ailleurs, autour de 90% des bus qui circulent au Maroc sont produits localement par une société à capital espagnol, à savoir Irizar. Et comme preuve de cette forte présence, ce sont des entreprises espagnoles qui gèrent le transport urbain des principales villes du Maroc, se chargeant ainsi de la mobilité quotidienne de plus de six millions de personnes.
«Boycotter les produits espagnols reviendrait à ne plus prendre de bus pour se rendre à son travail dans une usine de textile qui traite du tissu importé en admission temporaire», ironise notre chef d’entreprise. La société espagnole Inditex (plus gros vendeur de prêt-à-porter au monde détenant plusieurs marques comme Zara et H&M) est en effet prédominante dans son secteur, fournissant jusqu’à 60% de la matière première traitée au Royaume.
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Pour ce qui est du domaine des infrastructures, les entreprises espagnoles ont contribué, avec leur assistance technique, à des aspects tels que la sécurité et la planification de certains projets routiers et ferroviaires du pays. Dans le secteur des énergies renouvelables, c’est une entreprise espagnole, en l’occurrence Gamesa, avec Siemens, qui a misé sur le Maroc pour le démarrage de la première usine de pales pour l’industrie éolienne sur le continent africain et au Moyen-Orient. De son côté, la centrale solaire Noor a été conçue et développée avec la contribution de deux entreprises espagnoles.
Quant au tourisme, les principaux groupes ibériques disposent de plusieurs hôtels au Maroc dans les différentes stations touristiques pour ne citer que Barcelo ou Melia. L’Espagne est d’ailleurs le deuxième marché émetteur pour le tourisme marocain, avec des recettes de voyages avoisinant les 7 milliards de dirhams en 2019. Idem pour les MRE, dont les transferts en provenance d’Espagne dépassent les 5,6 milliards de dirhams, les troisièmes plus importants après la France et l’Italie. La communauté marocaine installée en Espagne avoisine d’ailleurs le million d’âmes.
Le business entre le Maroc et l’Espagne ne se limite pas à ce flux direct entre les deux pays. La péninsule ibérique est aussi le point d’entrée et un passage quasi-obligé aux multiples produits marocains exportés vers l’Europe. «Deux euros sur trois que nous encaissons via les exportations proviennent du vieux continent», nous explique un opérateur économique. La récente guerre des transporteurs et du gasoil qui s’était déclenchée avait démontré à quel point les rapports entre les deux pays peuvent perturber l’ensemble du marché européen. Autant dire que les deux voisins sont condamnés à s’entendre.