Maroc–Espagne: le bon voisinage fait les bonnes affaires

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Au-delà du grand coup diplomatique qui conforte le Royaume dans son intégrité territoriale, la fin de la brouille avec le voisin ibérique devrait marquer la reprise d'activités restées en suspens mais aussi renforcer des échanges commerciaux qui n'ont jamais cessé. Tour d'horizon.

Le 25/03/2022 à 11h41

Entre Rabat et Madrid, le brouillard diplomatique s'est dissipé. La lettre de Pedro Sanchez qui vient saluer «une nouvelle étape» dans ses relations avec le Royaume, notamment avec une reconnaissance établie du plan d'autonomie marocain pour le Sahara, devrait se traduire par le déblocage de certains dossiers sensibles pour les deux économies. Ceux-ci vont du transport maritime, à l’énergie, en passant par les échanges commerciaux. Ces dossiers vont sans doute être discutés avec les officiels espagnols qui vont défiler au Maroc durant les prochaines semaines. Tour d'horizon des bonnes affaires qui vont reprendre avec le rétablissement des relations de bon voisinage.

Marhaba de nouveau à FRS«Nous avons perdu 10 millions de passagers sur les deux dernières années», se lamentait il y a quelques semaines le président des Ports de l’Etat espagnol. Il faisait évidemment référence à la décision unilatérale du Maroc de supprimer les liaisons maritimes de transport de passagers sur le détroit et qui font le plein à chaque saison estivale avec le retour des Marocains résidents en Europe.

L'exclusion des ports espagnols de ce qui est considéré comme un des plus grands mouvements de personnes sur le vieux continent, a eu un impact économique sévère sur les entreprises ibériques. Les pertes sont de 450 à 500 millions d’euros, uniquement pour les compagnies de ferry assurant la traversée, selon les estimations de la compagnie FRS Iberia, un des plus importants opérateurs sur le détroit.

Maintenant que la brouille diplomatique est derrière les deux pays, la saison 2022 de l'opération Marhaba devrait reprendre à travers les ports espagnols, ce qui devrait raviver toutes les activités annexes aux passagers.

Le Royaume y gagne différemment: en plus des centaines d'emplois engendrés par cette campagne, l'arrivée massive des MRE en vacances est une aubaine pour les réserves de changes du Royaume. L'année dernière d'ailleurs, les pouvoirs publics avaient dû subventionner les billets d'avion pour les Marocains du Monde, afin de maintenir un flux d'arrivées acceptable. Une dépense extraordinaire en moins que le gouvernement n'est pas prêt à supporter dans le contexte actuel de crise budgétaire…

Sebta et Melilla, autrementBien avant le déclenchement de la pandémie du Covid-19, le Royaume s'est montré déterminé à mettre fin aux activités de contrebande qui faisaient la prospérité des présides occupés de Sebta et de Melilla. En 2019 déjà, les pouvoirs publics ont lancé une série de projets économiques à M’diq, Fnideq et à Tétouan, avec la création d'une «zone commerciale». Ces projets mettaient ainsi fin à une époque où les 9000 porteurs de marchandises de contrebande avaient même droit à un passage frontalier dédié, Tarajal II, pour faire la navette quotidiennement entre Sebta et Fnideq.

Les économistes espagnols estimaient que des marchandises d’une valeur de 500 millions d’euros, importées par Sebta en 2018, se sont retrouvées au Maroc, soit au moins plus de 50% de ce que ce préside achetait de la péninsule.

Avec le déclenchement de la crise sanitaire, le Maroc a davantage resserré la vis au niveau de ces postes frontières terrestres, accentuant la crise économique et sociale à Sebta et Melilia. Sous la pression des milieux politiques de ces présides, Madrid a toujours souhaité une réouverture de ces frontières.

Sauf qu'il est peu probable que le Royaume accepte de revenir à la configuration passée qui alimentait un circuit informel coûteux pour son économie. S'il est enclin à rouvrir les frontières pour faciliter l'accès aux personnes, le trafic de marchandises ne risque pas d'être à nouveau toléré à grande échelle. D'autant que les deux voisins sont aussi des partenaires qui réussissent à faire prospérer les échanges commerciaux.

Pas de crise pour le commerceMême au firmament de la crise diplomatique, les échanges commerciaux entre les deux voisins ont continué de progresser. L'année 2021 a été même marquée par un volume record de 16,8 milliards d'euros, soit 9 fois plus que le niveau enregistré à l'aune des années 2000.

La complémentarité des deux économies voisines s'illustre à travers l'importance stratégique de leurs relations commerciales. En plus d'être le troisième partenaire économique de l'Espagne en dehors de l'UE, le Maroc constitue une porte d'entrée du continent africain. Les exportations vers le Maroc représentent d'ailleurs la moitié des flux espagnols vers le sud de la Méditerranée. L'Espagne a par ailleurs détrôné depuis plusieurs années la France, en tant que premier partenaire commercial du Royaume.

La balance commerciale entre les deux pays reste d'ailleurs largement favorable pour l'Espagne à hauteur de 2,2 milliards d'euros grâce d'ailleurs à des exportations diverses qui vont des voitures au matériel électrique et machines en passant par les huiles et les carburants. D'ailleurs, les échanges en énergie sont appelés à connaître une progression fulgurante.

On remet les gaz!Les négociations pour l'inversement du Gazoduc Maghreb-Europe (GME) semblaient être aboutis quelques semaines avant même la réconciliation officielle entre les deux pays. Les ministères de l'Energie des deux pays ont multiplié les annonces dans ce sens.

C'est que le Royaume a choisi de se positionner sur le marché mondial du Gaz naturel liquéfié (GNL): il se fera livrer dans les usines de regazéification de la péninsule et utilisera le gazoduc pour l'acheminer vers son territoire.

Pour le Maroc, c'est une question cruciale de sécurité énergétique, perturbée par la fermeture du gazoduc GME par Alger, sur fond d’une escalade forcenée orchestrée par le voisin de l’est contre le Royaume. Le choix de cette option d'inversement du gazoduc a été dicté par une rapidité d'exécution et son coût rationnel: quelques mois de travaux pour une facture avoisinant les 100 millions d'euros. De quoi rassurer sur les approvisionnements du Royaume en gaz sachant que la construction d'un terminal GNL à Mohammedia en est à peine à son pré-lancement.

L'Espagne trouve aussi son compte dans ce nouveau deal. Outre l'activité additionnelle dans les ports et dans les usines de regazéification, l'inversement du gazoduc, sur le détroit et le tronçon marocain, permettra une reprise des centrales électrique de Ain Béni Mathar et Tahaddart, au chômage technique depuis la fermeture du GME. Des centrales exploitées par des sociétés espagnoles, Abengoa et Endesa en l'occurrence.

Par Fahd Iraqi
Le 25/03/2022 à 11h41