Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) mensuel au Maroc est à un niveau élevé comparativement à la plupart des autres pays fournisseurs d’habillement de l’Union européenne (UE). Il est, en effet, classé troisième derrière ceux de la Turquie et de la Chine. C’est ce qui ressort d’un benchmarking des salaires minima en vigueur dans ces pays, réalisé par Evalliance, une association française qui a pour objet de contribuer au renforcement de la coopération économique entre l’UE et l’Asie du Sud-Est d’une part et la Méditerranée d’autre part, dans les secteurs du textile, habillement, cuir et chaussures et luxe.
Étant actuellement à 307 dollars, soit 1,61 dollar par heure de travail, le SMIG mensuel au Maroc vaut 3 fois celui du Bangladesh ou du Pakistan, près de 5 fois celui du Myanmar, ou encore de 50% supérieur à celui de la Tunisie, relève cette étude.
«Certes, les salaires sont loin d’être un indicateur absolu des coûts de production et encore moins des niveaux de compétitivité alors que le marché s’oriente résolument vers une fast-fashion éco-responsable réclamant en premier lieu de l’agilité de la part de l’entreprise et par conséquent des investissements d’avenir dans l’IA et le 4.0», relève Jean-François Limantour, président d’Evalliance, qui note, toutefois, que «ces statistiques salariales éclairent utilement sur les raisons premières des délocalisations vers telle ou telle région du monde et sur les écarts de performances d’un pays producteur à l’autre».
Pour le cas du Maroc, quelle signification donner à sa position dans ce classement et quelles sont ses implications pour son secteur de textile-habillement ?
Pouvoir d’achat vs compétitivité du secteur de l’habillement
Avec un PIB d’environ 1.400 milliards de dirhams en 2023, contre 1.330 milliards de dirhams en 2022, le Maroc est une économie très dynamique, indique Jean-François Limantour. Il est donc tout à fait normal que les salaires versés dans son industrie soient supérieurs à ceux de la plupart de ses concurrents.
Le président d’Evalliance explique, par ailleurs, que les comparaisons internationales, généralement effectuées, en dollars valorisent les chiffres des «pays qui, comme le Maroc, ont une monnaie solide». Il rappelle à cet égard que la solidité du dirham est confortée par un panier de cotation pondéré à raison de 60% pour l’euro et 40% pour le dollar. À l’inverse, la forte dépréciation du dinar tunisien depuis plusieurs années, consécutive aux difficultés économiques de ce pays très fortement endetté, explique en grande partie pourquoi le salaire minimum de la Tunisie n’est qu’à 1,08 dollar par heure contre 1,61 dollar pour le Maroc.
«C’est une excellente chose pour le pouvoir d’achat des salariés marocains, mais peut-être un handicap pour son secteur de l’habillement qui, rappelons-le, reste encore une industrie de main-d’œuvre malgré l’intégration actuelle de nouvelles technologies de création, de production et de commercialisation», souligne l’expert en textile-habillement, ajoutant que le secteur de l’habillement du Maroc a un positionnement moyen de gamme.
Le prix moyen des vêtements marocains importés par l’UE en 2023 est de 30,67 euros par kilo. «C’est bien mais encore insuffisant, car 20% inférieur à celui de la Tunisie, son concurrent le plus direct avec la Turquie», fait remarquer Jean-François Limantour. «Le secteur marocain de l’habillement doit donc monter encore en gamme dans une stratégie orientée vers le moyen/haut de gamme en circuit court», insiste-t-il. Ainsi, la valorisation des vêtements exportés grâce à l’intégration de plus de création et de services réduira la part relative des coûts de main-d’œuvre dans les prix, exposera moins l’industrie marocaine à la concurrence des pays asiatiques et de la Turquie et dopera ses productions destinées aux marchés européens.
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Les importateurs européens choisissent leurs fournisseurs en raison de multiples critères, dont les principaux sont les prix, le rapport qualité-prix, la proximité, la réactivité, la fiabilité, les exigences écologiques et sociétales, etc. Les salaires et les charges sont donc un élément très important des coûts de production et des prix de vente, notamment pour les façonniers mais aussi pour les entreprises qui font du produit fini bas-moyen de gamme. «L’impact des coûts salariaux sur la compétitivité des entreprises et sur leurs exportations est donc grand: ou bien les entreprises à forts coûts salariaux alignent leurs prix sur la concurrence pour pouvoir exporter, et c’est au détriment de leurs marges, ou bien elles ne le peuvent pas et sont alors éliminées du marché.»
De ce fait, Jean-François Limantour conclut que la bonne solution pour accroître ses exportations est d’augmenter significativement sa valeur ajoutée, dans une stratégie de montée en gamme et de compétitivité hors prix. «Cela permet aux entreprises d’améliorer leurs marges et leurs chiffres d’affaires tout en rémunérant mieux leurs salariés. Sous-payer ses salariés est toujours une erreur car comme le dit le dicton, on n’en a jamais que pour son argent», martèle-t-il.
Le SMIG, un non-sens économique ?
Pour l’économiste Nabil Adel, c’est le principe même du salaire minimum qui dérange. Il s’agit en effet, explique-t-il, d’une décision administrative qui s’immisce dans la relation entre l’employeur et l’employé, qui devaient, normalement, avoir la possibilité de négocier librement leurs engagements respectifs, dont le salaire, en fonction notamment de la productivité. Quand la productivité augmente, le salaire doit suivre. Globalement, il doit y avoir une corrélation entre le niveau des salaires et le niveau du PIB/habitant, qui renseigne sur la richesse effectivement créée. Or, cette logique est biaisée par le SMIG qui, conclut l’économiste, va à l’encontre de la loi du marché, en étant déconnecté de la productivité et en privilégiant le social. Par conséquent, il amène la montée du chômage, la précarité et le manque de productivité.
L’économiste Ahmed Azirar est également de cet avis. Pour lui, le salaire minimum comme source de compétitivité est dépassé avec la nouvelle orientation affichée par Maroc dans le domaine industriel. Celle-ci est marquée notamment par la perte de terrain de la sous-traitance et la détermination du pays à opérer une montée dans la chaîne de valeur, en développant le made in Morocco et en attirant des investissements à forte valeur ajoutée.
De ce fait, ajoute Ahmed Azirar, il faut raisonner davantage en termes de compétitivité globale, c’est-à-dire lier le salaire à la productivité. D’ailleurs, souligne-t-il, la compétitivité ne dépend pas uniquement du salaire, mais de toute la chaîne de coûts (financement, matières premières importées…), ainsi que de divers autres facteurs. Il s’agit notamment de l’organisation, des outils de compétitivité aux niveaux humain et managérial, de la gestion des risques (change…), de la logique commerciale (distribution, intermédiaires…), ou encore des incitations.