Comptée parmi les pays les plus industrialisés du continent africain en grande partie grâce aux infrastructures ultramodernes héritées de l’ère de l’apartheid, l’Afrique du Sud s’est toujours targuée du rôle de locomotive qu’elle souhaite jouer sur la scène continentale.
Duncan Bonnett, directeur de l’Africa House, une entreprise de consulting basée à Johannesburg et ayant plus de 60 ans d’expérience en particulier en Afrique sub-saharienne, remet en cause cette ambition.
«Contrairement à ce qu’on prétend depuis des années, l’Afrique du Sud n’est pas la porte d’entrée vers l’Afrique», lance-t-il.
Cet expert, qui s’exprimait lors d’une rencontre à Johannesburg, hub économique et financier du pays arc-en-ciel, souligne que l’image projetée de l’Afrique du Sud comme portail vers l’Afrique «n’est en fait qu’une illusion ayant pour but de garder une certaine influence dans le continent».
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Duncan Bonnett rejoint dans son analyse les conclusions de nombreux livres et rapports qui mettent en avant cette dégradation que l’Afrique du Sud a connue ces dernières années. Une dégradation qui semble avoir fait perdre au pays, autrefois dirigé par Nelson Mandela, son statut de puissance influente sur le continent.
D’après cet expert sud-africain, Pretoria «n’a même pas les moyens de servir de porte d’entrée en Afrique australe», son espace géographique d’appartenance.
Les raisons de ce recul s’expliquent, selon les analystes, par l’affaiblissement économique du pays et l’incertitude politique qui encadre cet affaiblissement.
En effet, l’Afrique du Sud n’a pas pu renouer avec la croissance des années fastes qui ont suivi la fin du régime de l’apartheid en 1994. Depuis 2012, le pays s’est inscrit dans un ralentissement économique qui sape les rêves de juguler les énormes déficits sociaux dont souffre le pays, notamment un chômage qui frappe près de 28% de la population active, selon les chiffres officiels.
Des chiffres publiés récemment par l’agence officielle des statistiques ont montré que l’économie sud-africaine a reculé de 3,2% au premier trimestre de 2019, marquant sa plus forte contraction depuis la crise économique et financière mondiale de 2008-2009.
La situation actuelle de l’économie sud-africaine devra s’empirer, si l’on croit les analyses internationales. Certains rapports prévoient une chute du pays dans la récession cette année.
Dans son analyse du statut de l’Afrique du Sud sur l’échiquier économique continental, l’expert de l’Africa House estime que Pretoria demeure loin des zones émergentes du continent, en particulier l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique de l’Est.
A l’exception d’une ou deux success stories, l’Afrique du Sud n’a jamais pu percer dans ces contrées africaines, poursuit cet expert, soulignant que l’Afrique du Sud est absente même en Afrique centrale.
Et de souligner que même dans sa propre zone d’influence, l’Afrique australe, Pretoria est de plus en plus affaiblie. L’Afrique australe continue d’enregistrer les plus faibles taux de croissance économique en Afrique.
La croissance en Afrique sub-saharienne est actuellement tirée par l’Afrique de l’Est, souligne Duncan Bonnett, précisant que cette zone a pu réaliser ces percées grâce à des politiques développées loin du secteur minier.
Des rapports internationaux expliquent le recul économique en Afrique australe, en partie, par la dépendance des économies de la région du secteur minier, victime de graves fluctuations ces dernières années.
L’expert de l’Africa House estime, par ailleurs, que les difficultés économiques rencontrées par l’Afrique du Sud en Afrique devront se compliquer au regard des derniers développements sur la scène continentale, avec l’entrée en jeu de nouveaux acteurs.
De la Chine à l’Inde en passant par le Japon, la Turquie et le Brésil, toutes les économies émergentes se bousculent pour saisir les énormes opportunités en Afrique, indique l’expert.
Aux côtés de ces pays, des nations africaines se frayent un chemin au sein du continent, comme c’est le cas du Maroc et du Nigeria, indique-t-il.
Revenant sur le cas précis du Maroc, Duncan Bonnett souligne que le Royaume a augmenté d’une manière significative ses investissements et ses exportations vers l’Afrique subsaharienne. L’année dernière, le Maroc a dépêché les représentants de 150 compagnies au Rwanda, rappelle-t-il, soulignant que le Maroc étend sa présence même en Afrique australe, zone d’influence de l’Afrique du Sud.
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Il a cité, dans ce contexte, le cas de la Zambie, avec laquelle le Maroc a conclu une vingtaine d’accords de coopération économique.
Ces développements doivent inciter l’Afrique du Sud à engager une profonde réflexion sur une ouverture sur d’autres régions du continent, indique l’expert, relevant que la zone de libre échange continentale pourrait offrir des opportunités dans ce sens.