La facture de l’Indemnité pour perte d’emploi (IPE) ne cesse de s’alourdir. Selon les chiffres arrêtés au 1er octobre 2025, les dépenses totales ont franchi la barre des 2 milliards de dirhams depuis 2020, atteignant un cumul de 2,085 milliards sur les cinq dernières années et demie, indique la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) qui gère ce dispositif.
Hausse du nombre de bénéficiaires
Cette tendance reflète à la fois l’augmentation du nombre de bénéficiaires et celle du montant moyen des indemnités. Après une légère baisse en 2021 (22.003 bénéficiaires), les nouveaux recours à l’IPE n’ont cessé de croître, culminant à 27.498 personnes en 2024. Le premier semestre de 2025 enregistre déjà 13.645 nouveaux bénéficiaires, ce qui laisse présager un total supérieur à 27.000 pour l’année en cours.
Indemnité moyenne en progression
Le montant moyen mensuel suit également une tendance haussière, passant de 2.543 dirhams en 2020 à 2.889 dirhams au premier semestre 2025, soit +13,6% sur la période. En conséquence, la dépense annuelle est passée de 362 millions de DH (MDH) en 2020 à 434 MDH en 2024, et 174,6 MDH sur les six premiers mois de 2025.
Un signal préoccupant de la précarisation croissante de l’emploi
Un autre indicateur interpelle: l’ancienneté moyenne des nouveaux bénéficiaires, stable autour de 5,6 ans entre 2020 et 2024, a chuté à 4,43 ans au premier semestre 2025.
Évolution des indicateurs de l’IPE entre 2020 et fin juin 2025. (Source: CNSS).
| Année de perte d’emploi | Nombre de nouveaux bénéficiaires | Durée moyenne de service (ans) | Montant moyen mensuel (DH) | Dépense totale (millions de DH) |
|---|---|---|---|---|
| 2020 | 25.006 | 5,68 | 2.543 | 362 |
| 2021 | 22.003 | 5,57 | 2.581 | 316,4 |
| 2022 | 26.051 | 5,58 | 2.631 | 382,5 |
| 2023 | 27.246 | 5,59 | 2.733 | 416,2 |
| 2024 | 27.498 | 5,60 | 2.819 | 434 |
| S1 2025 | 13.645 | 4,43 | 2.889 | 174,6 |
Une évolution qui pourrait signaler une précarisation accrue de l’emploi, avec des licenciements touchant davantage des salariés moins expérimentés ou occupant des postes plus fragiles.
Qu’est-ce que l’IPE?
Lancé en 2014 et géré par la CNSS, ce dispositif vise à faciliter la réinsertion professionnelle des salariés du secteur privé ayant perdu involontairement leur emploi. Il leur verse une indemnité pendant une durée maximale de six mois le temps qu’ils retrouvent activement un nouveau poste.

Pour en bénéficier, le salarié concerné doit avoir cumulé 780 jours de déclarations de salaires durant les 36 mois précédant la perte d’emploi, dont 260 jours au cours des 12 derniers mois. Le montant mensuel de l’indemnité est égal à 70% du salaire de référence (moyenne des 36 derniers mois), plafonné au salaire minimum légal.
La demande doit être déposée auprès de la CNSS dans les 60 jours suivant la perte d’emploi. La période indemnisée est assimilée à une période d’assurance (assurance maladie, allocations familiales, retraite). En cas de reprise d’activité, l’assuré doit informer la CNSS dans un délai de 8 jours.
Un dispositif en attente de réforme
Onze ans après son lancement, l’IPE reste un mécanisme fragile. Régime obligatoire de protection des salariés du privé, il joue son rôle de filet social mais continue à assurer le strict minimum. La loi-cadre sur la protection sociale prévoit pourtant sa généralisation en 2025 à toute personne exerçant un emploi stable, avec un assouplissement des conditions d’accès et un élargissement de la base des bénéficiaires. Mais la réforme, jugée urgente depuis des années, n’est toujours pas enclenchée.
Les limites de l’IPE dans sa conception initiale avaient été identifiées dès ses premières années de mise en œuvre. Dans un avis rendu fin 2021, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait pointé trois faiblesses majeures.
Il s’agit des critères d’éligibilité trop restrictifs, entraînant de nombreux rejets de dossiers faute de jours déclarés suffisants, des prestations insuffisantes, calculées sur la base du SMIG et peu adaptées au niveau de vie de plusieurs catégories et un financement fragile et inéquitable, ne tenant pas compte de la pérennité des ressources ni de l’équité entre professions.
Vers un système à deux régimes
Le CESE avait recommandé une réforme systémique et progressive, comprenant deux régimes complémentaires: un régime assurantiel couvrant salariés et non-salariés, et un régime d’assistance pour les plus vulnérables, le tout arrimé à un dispositif actif d’aide au retour à l’emploi.
Alors que les chiffres révèlent une progression constante du recours à l’IPE, la question de sa soutenabilité financière à moyen terme devient centrale. Le dispositif joue son rôle d’amortisseur social mais son efficacité est limitée sans réforme en profondeur.
Les pouvoirs publics sont face à un double défi: préserver un niveau adéquat de protection sociale pour les salariés licenciés, tout en renforçant les politiques de création d’emplois stables pour réduire le recours à ce mécanisme.








