«Lancer un grand emprunt national destiné au grand public est une équation à plusieurs variables. Et pour le moment rien n’est encore tranché. Le ministère est en train d’étudier l’option la plus adéquate». Cette source, proche du département des Finances, table néanmoins sur le lancement de cette opération dès cet été, de manière à la finaliser avant le grand marathon de la préparation et de l’adoption de la loi de Finances, mais surtout avant les élections.
«C’est Mohamed Benchaâboun qui a osé cet ambitieux mécanisme de financement et s’il veut faire aboutir cette opération, il est tenu de la réaliser bien avant la fin du mandat du gouvernement actuel», précise notre source qui affirme que le montant sera assez conséquent: 5 milliards de dirhams au bas mot. «Autant que cette opération en vaille la peine vu son montage complexe et surtout son coût élevé, sachant qu’elle suppose une vaste campagne de communication destinée au grand public», explique notre source.
Retour vers le futurLes quadras, et plus, se rappellent certainement des spots publicitaires diffusés dans les années 1980 sur la RTM (seule chaîne de télévision à l’époque) incitant à la souscription à «Sanadat Al Khazina» (bons du Trésor) les présentant comme le choix judicieux (Al Ikhtiyar Arrazine). Les taux d’intérêt, à cette époque, frôlaient les sommets, oscillant entre 11 et 13% de rémunération annuelle pour ces bons auxquels on pouvait souscrire à partir de 1.000 dirhams.
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Mais la première fois que le Royaume a eu recours à ce type de financement remonte à une ère où le tube cathodique était encore en noir et blanc. Près d’un an après la Marche verte, le défunt roi Hassan II avait annoncé lors du discours de la fête de la jeunesse, de 1976, cet emprunt national avec le slogan «100 milliards pour le Sahara».
Vers le milieu des années 1980, les emprunts nationaux vont s’intensifier alors que le Maroc, engagé dans un Plan d’ajustement structurel (PAS) imposé par les bailleurs de fonds, trouvait du mal à lever des fonds sur le marché international. En 1996, l’ancien ministre feu Abderrahmane Saidi avait remis le concept dans l’air du temps en remplaçant les bons du Trésor par les bons de privatisation. «C’était une dette convertible en actions des entreprises publiques que l’Etat introduisait en Bourse alors que les privatisations étaient en vogue», nous rappelle un ancien du département des Finances. «Les investisseurs avaient également la possibilité d’attendre l’échéance de ces bons pour se faire rembourser comme s’il s’agissait de bons du Trésor classiques», poursuit-il.
C’est dire que chaque emprunt national a une histoire à raconter. «Celle du prochain emprunt pourrait être éventuellement la mobilisation nationale contre les effets de la pandémie et la relance économique, ou encore le financement de la généralisation de la protection sociale», préconise un expert.
Préalables au succèsAu-delà du projet auquel il est arrimé, ce nouvel emprunt national devrait connaître un montage financier différent. Si les bons des années 1980 avaient un nominal de 1.000 dirhams seulement, de manière à être accessibles à tous, la petite épargne s’est complètement volatilisée suite à la crise sanitaire et le peu qui reste est précieusement conservé, par précaution face à un avenir incertain. Désormais, il est question de cibler une autre catégorie. «Si l’Etat recourt à ce type de financement ce n’est pas uniquement pour trouver des fonds, car il a le moyen de le faire sur le marché adjudicataire, mais plutôt pour cibler une épargne qui dort jusque-là dans les bas de laine ou les coffres-forts», nous explique un banquier d’affaires.
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Mais sortir cette épargne du bois demande un préalable capital. «Garantir l’anonymat aux investisseurs, en libellant ces bons au porteur, est une condition sine qua non pour inciter les Marocains à souscrire dans une telle opération», explique notre source aux Finances. Car si on veut attirer de l’argent caché dans le circuit monétaire officiel, les épargnants doivent avoir l’assurance de ne pas subir de contrôle fiscal concernant l’origine des fonds mobilisés.
Sauf que cette démarche pourrait être interprétée comme du blanchiment mené à l’échelle d’un Etat. «Déjà que le Maroc figure dans la liste grise d’institutions internationales qui traquent l’argent sale. Lancer une telle opération pourrait accentuer cette image néfaste pour le pays», nous explique un banquier qui rappelle qu’une amnistie sur le cash avait été menée récemment permettant de faire sortir de l’ombre quelque 4,8 milliards de dirhams.
Défiscalisés, mais à quel taux?Un autre préalable important pour le succès du futur emprunt national réside dans la fiscalité assortie à ce produit financier. Sur ce plan le département des Finances a déjà pris les devants. La loi de Finances 2021 a prévu une défiscalisation totale des intérêts, perçus par les personnes physiques résidentes, sur les emprunts publics. Il s’agit d’une économie de 30% sur les produits d’intérêts.
Enfin la réussite de l’opération repose également sur le niveau de taux à servir pour ces bons du Trésor, sachant que ces derniers se caractérisent justement par une rémunération a minima. «La prime pour ce type de bons devrait se limiter à sa défiscalisation. L’Etat ne peut s’aventurer à proposer un bonus additionnel au risque de perturber la courbe des taux», nous explique un banquier qui voit d’un très mauvais œil le lancement d’une telle opération. «Ce type de bons du Trésor risque de cannibaliser les ressources bancaires, notamment les dépôts à terme qui sont imposables et moins rémunérateurs», poursuit-il.
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D’ailleurs les banques sont incontournables pour cette opération d’appel public à l’épargne qui nécessite la mise en place élargie d’un syndicat de placement. Sauf que les établissements bancaires freinent des quatre fers pour retarder le lancement de cette levée du Trésor. Contrairement au ministère des Finances qui a déclaré vouloir inscrire ces bons sur les lignes de cotation à la Bourse de Casablanca, les établissements bancaires eux proposent des titres à long terme et surtout non cessibles sur le marché secondaire, avec un remboursement du principal in fine. «Autrement, des gens risquent d’investir l’argent gagné dans le noir dans ces titres qu’ils risquent de revendre dès le lendemain en obtenant au passage une sorte de quitus fiscal», explique notre banquier.
Toutes ces contraintes ne sont pas pour décourager le ministère des Finances où l’on étudie toutes les pistes possibles et imaginables. Il est même question d’envisager un emprunt national en sukuk afin d’attirer aussi l’épargne qui échappe toujours au circuit bancaire pour des considérations religieuses. «Ce serait complètement inutile puisque l’expérience de la mise en place de banques participatives a démontré que les Marocains sont plus intéressés par les crédits immobiliers halal que par des dépôts participatifs», estime notre source.
C’est dire à quel point Mohamed Benchaâboun aura à batailler pour concrétiser son ambitieux emprunt national. Connu pour ne pas reculer devant la difficulté, l’argentier du Royaume est cette fois-ci devant un casse-tête chinois.