«La trajectoire marocaine en matière sportive ne relève plus d’une série d’initiatives ponctuelles, mais d’une stratégie nationale assumée et soutenue au plus haut niveau.» Le constat posé par Yassine El Yattioui est clair. Il rappelle un travail d’une décennie durant laquelle le Maroc a profondément reconfiguré son approche du sport, en passant d’une gestion fédérale classique à une politique d’influence intégrée dans les choix économiques et diplomatiques du Royaume.
Le football, longtemps cantonné à une fonction sociale et identitaire, a progressivement acquis un statut inédit. Il est désormais un instrument de puissance douce, un marqueur de modernisation, un vecteur de diplomatie africaine et un levier d’attractivité pour les investissements étrangers. Cette évolution s’inscrit dans un contexte où les grandes puissances émergentes, du Golfe au continent africain, utilisent le sport pour renforcer leur stature internationale. Le Maroc ne s’est pas contenté de suivre cette tendance: il l’a structurée, industrialisée et institutionnalisée.
Les chiffres témoignent de ce changement d’échelle. Le budget de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) a plus que doublé en dix ans, passant d’environ 670 millions de dirhams en 2014 à près de 1,5 milliard en 2023. À l’échelle continentale, il s’agit d’un niveau de financement comparable à celui des grandes fédérations émergentes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Cette hausse des investissements sportifs coïncide avec un contexte macroéconomique transformé. Entre 2019 et 2025, la croissance marocaine a alterné entre résilience et reprise, avec une moyenne proche de 3,3%, selon les données du HCP, soutenue par une diversification économique et par des investissements publics majeurs. Dans ce mouvement général, le sport s’est progressivement imposé comme un secteur transversal, influençant le BTP, le tourisme, le transport, l’hôtellerie, les médias et les services.
Au cœur de cette transformation se trouve la gouvernance. La présidence de Fouzi Lekjaa depuis 2014 a joué un rôle décisif. Le politologue souligne que la modernisation de la FRMF n’a pas seulement reposé sur la hausse des budgets, mais sur une refonte profonde de la gestion fédérale, depuis la formation des cadres jusqu’à la restructuration financière des clubs.
Cette modernisation s’est accompagnée d’un renforcement du rôle diplomatique de la fédération. L’entrée de Lekjaa au conseil de la FIFA en 2021 n’a pas seulement offert un siège à un dirigeant marocain dans l’une des plus puissantes organisations sportives mondiales; elle a symbolisé le repositionnement international du Maroc dans les espaces décisionnels du football global. Cette présence renforce l’influence marocaine dans les votes, les candidatures, les arbitrages et les orientations stratégiques du sport mondial.
Cette restructuration institutionnelle s’est faite parallèlement à une professionnalisation croissante des championnats nationaux, qui bénéficient d’un encadrement plus rigoureux, d’accords de sponsoring de plus en plus solides et d’une meilleure régulation financière. Le football marocain est désormais marqué par une montée en puissance des centres de formation, par une visibilité accrue des compétitions féminines et par une intégration progressive dans les circuits internationaux.
Un investissement massif qui redessine le territoire
L’autre pilier de cette stratégie réside dans l’investissement infrastructurel. Le complexe Mohammed VI de Maâmora, inauguré à l’orée des années 2020, constitue l’un des exemples les plus emblématiques de cette volonté de modernisation. Avec un coût estimé à 630 millions de dirhams, il s’inscrit dans la nouvelle génération des centres de haute performance, au même rang que les complexes les plus avancés d’Europe ou d’Asie.
Ce centre ne se limite pas à fournir des équipements sportifs de pointe. Il constitue, selon El Yattioui, «un outil diplomatique à part entière.» Il permet d’accueillir les sélections africaines et internationales, d’organiser des stages de haut niveau et de promouvoir l’image d’un Maroc au cœur du football global.
Dans le cadre de l’organisation de la CAN 2025 et du Mondial 2030, la modernisation des stades de Tanger, Marrakech, Agadir et Fès représente l’un des chantiers les plus structurants. Selon les chiffres officiels disponibles en 2025, plus de 9 milliards de dirhams sont mobilisés pour l’adaptation des infrastructures aux standards FIFA et CAF. Ces investissements participent à la dynamique de la régionalisation avancée, en renforçant l’attractivité économique de plusieurs pôles urbains.
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Le sport devient ainsi un levier direct d’aménagement du territoire. La création de 30.000 emplois entre 2019 et 2023 grâce aux chantiers liés aux infrastructures sportives traduit cette mutation. L’impact sur le tourisme sportif est également notable, avec une croissance de 12% du nombre de visiteurs liés aux événements sportifs.
Les succès sportifs récents, matrice d’un capital symbolique
La performance de l’équipe nationale masculine en 2022 au Qatar, marquée par une demi-finale historique, constitue l’un des moments fondateurs de cette transition. El Yattioui insiste sur la portée géopolitique de ce succès. «Il ne s’agit pas d’un simple exploit sportif, mais d’un capital symbolique qui a repositionné le Maroc à la croisée des identités africaine, arabe et diasporique.», insiste-il.
Cette réussite a renforcé la crédibilité internationale du Maroc, notamment en Afrique où il est désormais perçu comme un leader structurel. Elle a aussi stimulé la confiance des investisseurs internationaux, en particulier dans les secteurs du tourisme, de l’événementiel et de la communication. Les études internationales montrent qu’un parcours aussi exceptionnel peut entraîner une hausse de 8 à 12% de la notoriété internationale d’un pays, avec des effets positifs sur le tourisme et les investissements.
Sur le plan continental, le Maroc a poursuivi sa stratégie d’alliance en signant 45 accords de coopération sportive avec des fédérations africaines depuis 2014. Cette diplomatie sportive se décline en formations, en accueil de sélections, en soutien logistique, en développement d’académies et en organisation de compétitions sur le sol marocain.
La transformation du football féminin constitue l’un des éléments les plus marquants de cette dynamique. Le Maroc a engagé, depuis 2019, une véritable révolution dans ce domaine. Le nombre de licences féminines a progressé de 25% entre 2020 et 2023, tandis que les compétitions féminines nationales et internationales se sont multipliées.
La performance de l’équipe féminine lors de la Coupe d’Afrique des Nations 2022, organisée au Maroc, puis sa qualification au Mondial 2023, ont contribué à redéfinir les représentations du sport féminin dans la société marocaine. Selon El Yattioui, cette réussite constitue un «levier de modernisation sociale», un outil de diplomatie inclusive et un pas décisif vers la parité dans les instances sportives.
Le Maroc accueillera, entre 2025 et 2029, plusieurs éditions de la Coupe du monde U17 féminine, ce qui représente une opportunité économique et diplomatique inédite. Les projections évoquent plus de 70 millions de dollars de retombées cumulées pour cette période, en raison des flux touristiques et des investissements logistiques.
CAN 2025, un test opérationnel d’envergure continentale
L’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 constitue une étape charnière pour la diplomatie sportive marocaine. Les projections officielles tablent sur des retombées économiques pouvant atteindre 250 millions de dollars, essentiellement concentrées sur le tourisme, l’hôtellerie, les transports et les services.
Cette compétition représente également un laboratoire diplomatique. Elle permettra au Maroc de tester sa capacité à gérer des flux de supporters, à assurer la sécurité des sites, à mobiliser les infrastructures de transport et à coordonner l’ensemble des acteurs institutionnels. À l’échelle africaine, cette CAN devrait renforcer la position du Maroc comme partenaire privilégié pour les grandes compétitions sportives du continent.
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La co-organisation de la Coupe du monde 2030 avec l’Espagne et le Portugal constitue, selon El Yattioui, «un jalon géopolitique majeur». Ce projet tripartite renforce la position du Maroc comme pont entre l’Afrique et l’Europe, tout en consolidant une logique de coopération méditerranéenne renouvelée.
Les retombées économiques attendues sont considérables. Les estimations les plus prudentes évoquent plus de 2 milliards de dollars de retombées directes et indirectes pour le Maroc. À cela s’ajoutent des effets structurels, comme la modernisation du réseau ferroviaire avec l’extension de la LGV vers Marrakech et Agadir, dont le coût global dépasse 50 milliards de dirhams.
Le Mondial 2030 constitue également une plateforme pour renforcer les investissements privés dans les infrastructures, dans l’hôtellerie, dans la communication et dans les services.
La décennie 2025-2035 s’annonce décisive. Elle dira si le Maroc peut transformer son capital sportif en capital économique durable, en influence diplomatique accrue et en moteur de croissance territoriale.








