Le Maroc a désormais engagé une reconfiguration d’ampleur de son économie de la santé, dont le poids approche 6% du PIB. Cette mutation intervient à un moment charnière notamment par la généralisation progressive de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), du vieillissement démographique, de la hausse des maladies chroniques ainsi que la pression croissante sur des infrastructures publiques longtemps sous-dimensionnées. Dans ce contexte, la troisième édition du Forum International E-Health, tenue le 27 novembre 2025 à Casablanca, a rappelé l’importance des investissements, de l’innovation et de la gouvernance pour soutenir cette montée en puissance.
La progression du budget de la santé résume à elle seule le changement de rythme engagé par l’État. En quatre ans, les crédits du secteur sont passés de 19,8 milliards de dirhams (MMDH) en 2021 à 32,6 milliards en 2025. Une hausse de près de deux tiers, traduisant une volonté affirmée de combler un sous-financement chronique. Pour 2026, le projet de loi de finances prévoit 42,4 MMDH, soit une augmentation supplémentaire de 30% en seulement douze mois.
Selon le gouvernement, cette trajectoire vise à corriger une faiblesse structurelle profondément ancrée où, pendant des décennies, le système s’est appuyé sur la contribution directe des ménages. En 2021, plus de 60% des dépenses de santé restaient payées de leur poche, un niveau qui a creusé les inégalités et a fragilisé l’accès aux soins. L’augmentation des budgets publics cherche à alléger cette pression, alors même que la part de la santé dans le budget général – 7,14% en 2022 – demeure inférieure aux standards recommandés pour les pays engagés dans des réformes de grande ampleur en matière de protection sociale.
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Si les moyens financiers augmentent, le défi des ressources humaines reste entier, tel est le constat actuel. Cependant, le Maroc a certes multiplié les efforts pour renforcer ses effectifs médicaux: de plus de 3,6 médecins pour 100.000 habitants en 1956, le Royaume est passé à 71 en 2020. Mais ces progrès, réels, ne suffisent pas à répondre à la demande actuelle ni à celle à venir, compte tenu des objectifs de l’OMS. L’extension rapide de la couverture médicale obligatoire et les besoins en soins spécialisés accentuent une pression déjà forte sur un personnel insuffisant en nombre.
L’État a donc revu à la hausse les capacités de formation dans les facultés de médecine, les écoles d’infirmiers et les instituts paramédicaux. Cette expansion vise à combler progressivement le déficit, mais ses effets seront graduels. À court terme, le secteur public reste confronté à une perte d’attractivité: charge de travail élevée, départs vers l’étranger, concurrence du privé. Autant de facteurs qui ralentissent la stabilisation des effectifs et pèsent sur la qualité des services.
La transition numérique, colonne vertébrale d’un système de santé modernisé
La modernisation de l’économie de la santé s’appuie également sur une transformation numérique qui progresse à un rythme rapide. Le Maroc, désormais identifié comme un hub technologique en Afrique du Nord, bénéficie d’un environnement propice à la digitalisation des services médicaux, à la télésanté et à la gestion optimisée des données.
Les infrastructures numériques du pays connaissent une montée en puissance spectaculaire. La capacité des écosystèmes cloud et IA devrait atteindre 500 MW à l’horizon 2030. Cette évolution ouvre la voie à un hébergement sécurisé des données de santé, à l’interopérabilité des systèmes d’information hospitaliers et au développement de solutions de gestion intelligente. Par ailleurs, le marché des datacenters, évalué à plus de 470 millions de dollars, renforce cette orientation en consolidant la souveraineté numérique du Royaume, rappelle Chakib Achour de Gitex Africa.
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Dans cette dynamique, le programme Digital Morocco 2030 ambitionne d’ajouter 10,3 milliards de dollars au PIB, de créer près de 240.000 emplois et d’accélérer la digitalisation des services publics. Ces objectifs, loin d’être abstraits, trouvent une traduction directe dans le secteur sanitaire par la généralisation des dossiers médicaux électroniques, la mise en réseau des établissements, le déploiement de l’IA prédictive pour anticiper les épidémies ou l’optimisation dess flux hospitaliers.
Une gouvernance pour bâtir un système plus équitable
La recomposition de l’économie de la santé dépasse les questions de financement ou d’infrastructures. Elle s’inscrit dans une ambition plus large par le renforcement de la souveraineté sanitaire du Maroc, la modernisation des structures hospitalières, le développement d’une industrie pharmaceutique compétitive mais surtout par le réduction des disparités territoriales qui persistent entre régions.
Cette ambition s’inscrit dans un environnement continental en pleine réorganisation. L’émergence de nouveaux écosystèmes technologiques en Afrique, soutenus par des événements internationaux mobilisant plus de 140 pays, 700 startups et des investisseurs disposant de plus de 350 milliards de dollars d’actifs, redéfinit les partenariats possibles dans la santé, selon les données de Gitex Africa. Dans cette recomposition, l’alliance entre innovation et besoins sanitaires offre une opportunité stratégique que le Maroc est désormais mieux placé pour saisir.
Mais la réalisation de cette ambition dépendra de la cohérence des choix budgétaires, de la stabilisation des ressources humaines, de la maturité de la filière numérique de la santé et d’une gouvernance capable de piloter un système en pleine mutation, selon plusieurs spécialistes de bonne gouvernance. Malgré ces contraintes, le Maroc reste engagé sur une transformation profonde, soutenue par des investissements massifs et un effort stratégique étalé sur plusieurs années. Entre autres enjeux, il s’agit de maintenir cette dynamique et de lever les derniers verrous structurels afin que cette transition se traduise durablement dans la vie quotidienne des citoyens.








