Les attaques contre des porte-conteneurs empruntant le détroit de Bab Al-Mandab, reliant le golfe d’Aden et la mer Rouge, continuent de dérégler le trafic maritime international. Contraints, depuis neuf mois, de suspendre leurs rotations dans cette zone où transite 12% du commerce maritime mondial, et d’opter pour le trajet alternatif passant par le cap de Bonne-Espérance, au large de l’Afrique du Sud, les grands transporteurs maritimes ont logiquement augmenté leurs tarifs.
Conséquence: les prix du fret maritime s’envolent. D’après le dernier indice mondial des conteneurs, publié par le portail Drewry, spécialisé dans l’analyse de données du transport maritime, l’expédition d’un conteneur de 40 pieds était facturée, le 4 juillet dernier, à 5.868 dollars, soit une hausse annuelle de 298%, principalement entre la Chine, l’Europe et les États-Unis.
Une hausse de 220% pour un conteneur de 20 pieds
Le Maroc n’est pas épargné par cette flambée. D’après des données obtenues par Le360 auprès d’un professionnel marocain du transport maritime, à la mi-juillet, les tarifs du fret maritime entre la Chine et le Royaume ont connu une hausse oscillant entre 160 et 220% en glissement annuel. À titre d’exemple, du 1er au 14 juillet, le tarif de l’acheminement d’un conteneur de 20 pieds en provenance du port chinois de Xiamen est fixé à 5.560 dollars, contre 1.900 dollars en juillet 2023, en hausse de plus de 190%, tandis que le coût d’expédition d’un conteneur de 40 pieds a atteint les 8.000 dollars, en augmentation de plus de 160% par rapport à l’année précédente.
Les tarifs du fret maritime entre la Chine et le Maroc entre juin 2024 et la première quinzaine de juillet.
Mois | Prix d’un conteneur 20 pieds | Variation annuelle | Prix d’un conteneur 40 pieds | Variation annuelle |
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Juin 2024 | Entre 4.800 et 5.050 dollars | 130% -140% | Entre 7.100 et 7.550 dollars | +130% - 140% |
Juillet 2024 | Entre 5.310 et 5.560 dollars | +190% - 220% | Entre 7.550 et 8.000 dollars | +160% - 180% |
La flambée est encore plus prononcée au départ des ports de Shanghai, Ningbo et Qingdao. Pour en expédier un conteneur de 20 pieds dans la première quinzaine de juillet, il faudra désormais débourser 5.310 dollars, en hausse de 220%! Et pour les conteneurs de 40 pieds, le tarif du fret est passé de 2.650 dollars à 7.550 dollars, soit une inflation de plus de 180%.
Ce renchérissement spectaculaire du fret maritime entre la Chine et le Maroc est dans la continuité de celui observé au cours du premier semestre, particulièrement durant le mois de juin, avec des hausses de tarifs variant entre 130% et 140% pour les deux types de conteneurs.
Augmentation des frais d’assurance et saturation des ports d’escale
Outre le rallongement des itinéraires, l’augmentation des frais d’assurance des compagnies maritimes tire également les tarifs à la hausse. «L’augmentation des frais d’assurance pour les compagnies maritimes reste une cause majeure de la flambée des tarifs de fret. Les attaques des Houthis ont poussé les assureurs à augmenter considérablement les primes d’assurance qui touchent aussi bien les navires que les marchandises», indique Rachid Tahri, président de l’Association des Freight Forwarders du Maroc (AFFM) et secrétaire général de la Fédération du transport et de la logistique, affiliée à la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), interrogé par Le360.
Pour l’expert international en transport et logistique El Mostafa Fakhir, cette hausse s’explique aussi par le changement des schémas logistiques du transport maritime. «Auparavant, plusieurs conteneurs étaient dispatchés dans différents ports en mer Rouge, à Port-Saïd en Égypte, au port du Pirée en Grèce, au niveau du Canal de Suez et dans d’autres ports de la Méditerranée. Aujourd’hui, à cause des perturbations en mer Rouge, ces navires empruntent la façade atlantique et arrivent chargés jusqu’aux ports d’éclatement de Tanger Med, d’Algésiras ou de Valence, actuellement saturés», explique-t-il.
S’acheminerait-on alors vers une poursuite ce trend haussier? «Pour les six prochains mois, il est prévu que ces taux restent élevés tant que la situation géopolitique reste tendue. Bien que des mesures aient été annoncées pour sécuriser la région, il est peu probable que les tarifs baissent», répond Rachid Tahri.
Vers un renchérissement continu des tarifs
D’après notre interlocuteur, l’augmentation des tarifs du fret depuis la Chine est appelée à durer, en raison de deux principaux facteurs. D’abord, «les ports asiatiques continuent à souffrir de la congestion, ce qui provoque retards et détournements de navires, et met de la pression sur la capacité disponible». Ensuite, la demande étant plus élevée que prévu, notamment à cause de la reprise économique dans certains pays européens, «la préoccupation des expéditeurs par rapport à la pénurie des équipements contribuera également à une augmentation des tarifs».
Et même au cas où la situation reviendrait à la normale, «il faudra beaucoup de temps pour résorber la pénurie des conteneurs après l’annulation des escales par les armateurs, à la suite de la congestion de certains grands ports», précise-t-il.
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El Mostafa Fakhir abonde dans le même sens. Selon lui, la crise en mer Rouge devrait s’inscrire dans la durée. «Ce n’est plus un phénomène conjoncturel, mais structurel. Les compagnies maritimes vont également déployer des navires supplémentaires durant cette saison estivale, qui sera marquée par une forte demande des ménages, ce qui entraînera une augmentation des taux d’affrètement et la hausse des tarifs des conteneurs», explique-t-il.
D’après l’expert, ce dérèglement du transport maritime devrait pousser le Maroc, «qui ambitionne d’assurer sa souveraineté maritime et exporter davantage dans les autres pays du continent et ceux de la Méditerranée», à accélérer la création d’une flotte nationale de marine marchande, pour ne plus dépendre des aléas géopolitiques structurels et récurrents. «Aujourd’hui, l’insuffisance de capacités des navires affecte le commerce extérieur du Maroc, d’où la nécessité de développer une flotte nationale, comme souhaité par le roi Mohammed VI», conclut-il.