McKinsey! L'enseigne est prestigieuse, ses conseils sont précieux, ses méthodes sont optimales… Surtout quand il s'agit de ses propres comptes financiers. Après son scandale fiscal en France –où l'entreprise n'a pas payé d'impôts sur les bénéfices depuis dix ans–, l'on se rend compte que la star américaine du conseil fait également, au Maroc, dans l'optimisation fiscale à outrance.
Les comptes financiers dévoilés par la presse pourraient laisser croire que le cabinet a été bénévole ces dernières années, arrivant à peine à payer ses consultants. En tout cas, ses états de synthèse affichent des résultats déficitaires trois années entre 2016 et 2020, avec des pertes abyssales, atteignant parfois les 70 millions de dirhams.
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«Pour une autre société dans la même situation, les conseillers avisés de McKinsey auraient conclu que le business n'était pas rentable et auraient recommandé de fermer boutique», ironise un analyste financier. Mais la comptabilité et les chiffres peuvent être malléables, surtout lorsqu'on consolide des comptes au niveau mondial, comme le fait la maison mère McKinsey & Company Inc. installée dans le Delaware, aux Etats-Unis.
La filiale marocaine n'a pourtant jamais été en manque de commandes, depuis qu'elle a acquis ses titres de noblesse au début du millénaire. Elle at élaboré le Plan Azur pour le ministère du Tourisme (2002), le Plan Emergence pour le département du Commerce extérieur (2004) ou encore le Plan Maroc Vert pour le ministère de l'Agriculture (2009)… Autant de visions stratégiques qui lui ont valu, un temps, le sobriquet de «planificateur du Royaume».
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Et les affaires marchent toujours bien pour le cabinet américain qui vient, entre autres, de remporter le marché d'accompagnement du centre régional d'investissement de Béni Mellal pour la création d'une station touristique dédiée aux MRE. Une étude qui devrait lui rapporter 4,68 millions de dirhams, soit le double de l'impôt sur les sociétés, payé sur les trois dernières années. Mieux encore, le cabinet a accompagné Bank of Africa dans un nouveau plan stratégique qui n'a pas encore été dévoilé, tout comme le montant de sa prestation qui se chiffrera, à coup sûr, en millions de dirhams.
Pratique couranteCe décalage entre le chiffre d'affaires, les bénéfices et surtout l'IS payé, n’est pas une recette propre au cabinet de consulting américain. Un autre prestataire international très actif au Maroc, en l’occurrence The Boston Consulting Group, affiche lui aussi une rentabilité financière qui intrigue. En 2018, ce cabinet historique a été déficitaire, alors qu'il a réalisé un chiffre d'affaires de près de 200 millions de dirhams. Et même en 2020, quand son chiffre d'affaires a dépassé les 300 millions de dirhams, son taux de marge nette n’a, lui guère dépassé les 2%.
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«Ce type de structures, comme la plupart des multinationales, ont tendance à gonfler les prix de transfert comptabilisés en charges externes pour réduire leurs résultats avant impôt», nous explique un expert financier. «De plus, leur statut CFC leur procure des abattements sur l'IS et une exonération sur le chiffre d'affaires réalisé en Afrique», ajoute-t-il.
Mais il n'y a pas que les consultants internationaux qui affichent des niveaux de rentabilité modestes. Les comptes du cabinet marocain le plus réputé font eux aussi grise mine: Valyans Consulting a vu sa situation financière dégringoler d'année en année, depuis que son fondateur, Mohcine Jazouli, nommé, en octobre dernier, ministre délégué auprès du Chef du gouvernement chargé de l’Investissement, de la Convergence et de l’évaluation des Politiques publiques, a basculé dans le service public. Son chiffre d'affaires a reculé de 118 millions de dirhams en 2017, à quelque 40 millions de dirhams en 2020. Sur cette période, le résultat net est passé de 18 millions de dirhams à une perte de 4,5 millions de dirhams.
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«Compte tenu de la structure de charges et du chiffre d’affaires réalisé en 2020, il faut à l’entreprise 678 jours pour atteindre le seuil de rentabilité», nous explique un analyste financier. Malgré cette situation fragile, l'entreprise séduit encore des investisseurs de renom. Le groupe Othman Benjelloun, à travers Interfina, et l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) de la fondation OCP ont pris chacun 22% de parts de cette structure, qui paraît pourtant en perte de vitesse.
Nouvelles commandesC'est que le marché du consulting a encore de beaux jours devant lui au Maroc. Surtout que la saison est propice aux nouvelles commandes. «Le changement au niveau des ministères s'accompagne souvent par le lancement de nouvelles études stratégiques qui sont généralement sous-traitées aux cabinets de consulting», nous explique un connaisseur du secteur.
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Difficile de retracer l'ensemble des commandes passées par les départements ministériels ces derniers mois, ou encore les établissements publics sous leur tutelle. Mais il y en a certains qui ne sont pas passés inaperçus, comme l'attribution à Valyans Consulting (pour 4,7 millions de dirhams), en novembre dernier, du marché de la mise en place d'une plateforme d'open data nationale pour le tourisme.
Par ailleurs, les conseils régionaux récemment élus commencent à leur tour à faire appel aux cabinets de consulting pour élaborer leurs Plans de développement régionaux, les fameux PDR. La région de Casablanca-Settat, présidée en 2016 par Mustapha Bakkoury, a été la première à lancer cette tendance en s’offrant les conseils de Valyans.
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Pour le PDR 2022-2027 de la région présidée désormais par Abdellatif Maazouz, c'est le cabinet BCG qui a remporté le marché, pour quelque 8,8 millions de dirhams. Valyans a néanmoins eu sa part du gâteau en étant en pole position pour décrocher l'accompagnement du PDR de la région de Souss-Massa. Un contrat de 6,5 millions de dirhams en perspective.
Sur ce nouveau marché des PDR, de nombreux cabinets marocains se positionnent désormais. On peut notamment citer Inetum Consulting Maroc ou encore Sciences urbaines et développement, qui ont remporté conjointement le PDR de la région de l'Oriental (3,1 MDH), ou encore SIS Consulting pour celui de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma (1,8 MDH). D'autres régions ont également lancé des appels d'offres pour les accompagner dans la conception de ces nouveaux plans régionaux qui devraient aiguiser les appétits des consultants locaux et internationaux. «Rien que sur le marché de Rabat-Salé-Kénitra, l'étude pour le PDR est estimée à plus de 7 millions de dirhams», nous confie un membre du conseil régional. C'est dire que la concurrence risque d'être acharnée…