Articulée autour de trois questions: «L’autonomie fiscale locale a-t-elle encore un sens pour le développement territorial?», «Gouvernance de la fiscalité locale: qui décide? Qui gère?», «Qui décide de la fiscalité locale: quelles modalités, quels critères, quelle rationalité ?», cette conférence-débat avait pour objectif de dresser un état des lieux et d’établir un diagnostic sur la situation actuelle.
Intervenant lors de cette conférence, Noureddine Bensouda, trésorier général du Royaume du Maroc, a indiqué: «Nous avons observé ces dernières années pour le cas du Maroc un consensus de la part des politiques pour une décentralisation fondée sur le principe de subsidiarité selon lequel la décision doit être prise par le niveau d’autorité publique le plus proche des usagers. Toutefois, ce consensus ne reflète pas la réalité, en ce sens qu’un décalage temporel s’est installé entre le discours et l’action. En effet, si tout le monde s’inscrit dans la logique de décentralisation et donc dans le sens d’un partage de pouvoir entre un état central et les collectivités territoriales, notamment dans le domaine financier, le pouvoir territorial demeure encore très dépendant du pouvoir central.»
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Se basant sur les chiffres des recettes des collectivités territoriales, Nourredine Bensouda a souligné: «Il apparait que les recettes fiscales à proprement dit demeurent encore limitées pour permettre aux collectivités territoriales de prétendre à une certaine autonomie fiscale et de participer pleinement au développement des territoires comparativement à l’ambition consacrée par la Constitution de 2011. L’Etat reste le principal acteur du développement territorial puisqu’il est investisseur majeur dans les régions et dans les localités».
En effet, entre 2002 et 2021, les ressources transférées par l’Etat constituent en moyenne 61,6% des recettes des collectivités territoriales, avec un pic de 66,5% en 2019 et un minimum de 55,9% en 2006. Il s'agit aussi d'une tendance haussière des ressources des collectivités territoriales entre 2002 et 2021, sauf en ce qui concerne les années 2012 et 2020 qui ont enregistré un recul des recettes.
Le troisième constat porte sur le fait que les ressources encaissées durant chaque année ont généralement permis de couvrir les dépenses globales de la même année, sans recours aux excédents des années antérieures.
Ainsi, les collectivités territoriales continuent de dépendre de l'Etat dans leur financement, même après plusieurs réformes de la fiscalité locale depuis 1976, a fait remarquer Nourredine Bensouda. En effet, les recettes provenant de la fiscalité gérée directement par les collectivités territoriales durant la période 2002-2021, n'ont constitué que 9% en moyenne, avec un pic de 12% en 2013 et un minimum de 4% en 2003, a-t-il précisé.
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Par contre, les transferts de l'Etat, composés des parts des collectivités territoriales dans le produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur le revenu ainsi que du produit de la fiscalité locale gérée par l'Etat pour le compte des collectivités territoriales (taxe d'habitation, taxe de services communaux et taxe professionnelle) assurent respectivement, 53,3% et 16,9% de leurs ressources globales.
En ce qui concerne plus particulièrement les régions et les préfectures et provinces, les recettes transférées représentent plus de 90% de leurs ressources globales, alors que les redevances et autres produits domaniaux contribuent en moyenne à hauteur de 10%, a indiqué le trésorier général du Royaume, ajoutant que le reliquat, soit 7% des recettes, provient des subventions et dotations budgétaires de l'Etat.
Autre problème soulevé par le trésorier général du Royaume, les motivations politiques des élus locaux: «ce qu’on remarque, c’est que par exemple, sur le plan opérationnel, le recensement de la matière imposable par exemple de la taxe d’habitation et de la taxe professionnelle mériterait d’être régulièrement effectué avec l’appui des autorités locales en vue d’élargir l’assiette et d’augmenter le rendement. Or, dans les faits, il semble qu’il existe une certaine réticence à le réaliser sous peine que les élus déplaisent à leur électorat. En ce qui concerne la fixation du taux de certaines taxes, les prérogatives relevant de la compétence des collectivités territoriales, nous remarquons que les élus recourent le plus souvent à l’application des taux marginaux des taxes»
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Face à cette situation, Nourredine Bensouda a émis quelques propositions pour améliorer l’autonomie des collectivités territoriales: «Il s’avère nécessaire de refonder les rapports entre l’Etat et le citoyen, l’Etat et les territoires, avec une révision complète de notre façon de faire, une recherche permanente de cohérence et une adaptation de nos supports techniques, particulièrement sur le plan fiscal. La situation des finances locales au Maroc ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvres aux pouvoirs locaux pour le développement territorial, d’où la nécessité de chercher de nouvelles sources de financement des collectivités territoriales.
Il s'agit aussi d’améliorer le rendement des taxes locales en confiant la gestion de la fiscalité locale à une administration professionnelle, neutre et loin de toute interférence politique. Bensouda appelle aussi à la rationalisation des dépenses locales, afin de dégager des espaces budgétaires pour l’investissement, outre le recours à l’emprunt en vue de financer des projets d’investissements créateurs d’emplois.»
Ce colloque hybride a été marqué par la participation des cadres du ministère, de responsables de l'administration territoriale, d'économistes, de fiscalistes et de chercheurs nationaux et internationaux. Via ses évènements scientifiques, la TGR ambitionne d'incarner la volonté de partage et d’échange qui contribue à faire mûrir la réflexion et enrichir le débat sur nombre de sujets cruciaux ayant trait aux finances publiques.