Ce chiffre, en apparence strictement financier, révèle un indicateur de taille. Depuis la décision de Bank Al-Maghrib d’abaisser son taux directeur au printemps 2025 après un pic inflationniste contenu à 0,7% en octobre 2025 selon les données du HCP, la détente monétaire se diffuse peu à peu dans les comptes des entreprises. Les banques, en première ligne, affichent une progression du Produit net bancaire de 6,2%, signe d’une respiration retrouvée après deux années de contraction des marges. La reprise graduelle du crédit aux entreprises, estimée à +3,4% par Bank Al-Maghrib dans sa note trimestrielle de septembre, renforce cette dynamique.
Cet affermissement du secteur bancaire intervient dans un contexte où la demande intérieure reste atone, comme l’indiquent les dernières prévisions du HCP qui anticipent une croissance limitée à 2,8% pour 2025, en dépit d’une année agricole meilleure que prévu. Le moteur financier agit ainsi comme un stabilisateur conjoncturel, évitant que la croissance globale ne s’érode davantage.
L’industrie, pour sa part, enregistre une progression de 5,4%, soit 154,1 milliards de dirhams (MMDH) de revenus, indique le rapport. Derrière cette évolution se dessine une transformation structurelle entamée depuis une décennie, marquée par la progression de l’activité industrielle, la robotisation et la montée en puissance de filières capitalistiques. Les performances des groupes opérant dans la santé, la distribution moderne, les matériaux ou les mines s’inscrivent quant à eux dans une trajectoire où les chaînes de valeur deviennent plus technologiques et mieux intégrées.
Cette transition ne relève plus d’une stratégie annoncée, mais elle se matérialise désormais dans les fondamentaux. Les données de l’Office des changes confirment par ailleurs le repositionnement industriel du Royaume, notamment les exportations automobiles qui ont franchi un record de 151 MMDH à fin octobre 2025, devenant le premier poste exportateur du Maroc devant les phosphates. Cette dynamique irrigue les marges industrielles et tire la cote casablancaise vers le haut.
Une transition marquée par un ralentissement cyclique
L’analyse trimestrielle montre toutefois une économie encore sensible aux chocs exogènes. Si les revenus progressent de 5,4% en glissement annuel, ils demeurent presque inchangés par rapport au deuxième trimestre. Ce palier traduit une normalisation après un premier semestre robuste, mais aussi la dépendance du Maroc à la conjoncture européenne, contrainte par plusieurs facteurs dont la croissance de la zone euro, principal débouché commercial qui, quant à elle, sera très faible en 2025 selon la Commission européenne, ce qui pèse sur les carnets d’exportation.
Cependant, les cours internationaux des matières premières, bien que stabilisés, demeurent volatils dans un contexte où le baril évolue dans une bande de 78 à 85 dollars à côté des métaux critiques qui néanmoins restent soumis aux ajustements chinois et les intrants industriels importés et qui dans ce sens continuent d’affecter la structure de coûts de plusieurs groupes cotés. Dans ce contexte, la stagnation des revenus au troisième trimestre agit comme un rappel prudent: la reprise marocaine progresse, mais elle n’est pas encore consolidée.
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L’indicateur le plus saillant du rapport de BMCE Capital est l’envolée des CAPEX, en hausse de 34% pour atteindre 19,3 milliards de dirhams. Cette accélération tranche avec le discours souvent répété sur l’insuffisance de l’investissement privé au Maroc. Les chiffres confirment pourtant une bascule.
Les télécoms intensifient leurs investissements dans la fibre optique et la 5G avec à la clé les opérateurs portuaires qui modernisent leurs terminaux afin d’accompagner la montée en cadence de Tanger Med. Sont aussi concernés par cette embellie les groupes logistiques qui renforcent leurs plateformes et les infrastructures commerciales qui poursuivent l’expansion de leurs réseaux. Ce mouvement accompagne la stratégie nationale d’amélioration de la compétitivité, soutenue par les programmes publics d’investissement, dont le montant a dépassé 335 MMDH dans la Loi de finances 2025, principalement orientés vers les énergies renouvelables, les infrastructures routières et portuaires, ainsi que les secteurs sociaux.
Cette montée en puissance du CAPEX privé apparaît cohérente avec la dynamique macroéconomique tracée par les institutions internationales. Le FMI, dans son World Economic Outlook d’octobre 2025, anticipe une accélération de la croissance marocaine à 3,7% en 2026, portée par la normalisation monétaire, l’investissement productif et le dynamisme des exportations industrielles.
Une dette nette en hausse mais intégrée dans un cycle d’expansion
L’augmentation de la dette nette des entreprises industrielles, qui atteint 76,3 MMDH, en progression de 17,5%, pourrait paraître préoccupante dans un contexte d’incertitude mondiale. Elle traduit pourtant davantage un repositionnement stratégique qu’un risque de surchauffe. Les secteurs les plus endettés dont les télécoms, les mines et le BTP, sont aussi ceux qui portent les investissements les plus massifs et dont les cycles de retour s’inscrivent dans le long terme.
La baisse progressive du coût de financement consécutive à la détente monétaire renforce l’intérêt de recourir à l’endettement pour soutenir l’expansion industrielle. Les émissions obligataires privées ont d’ailleurs augmenté de 12% depuis le début de l’année, selon l’AMMC, témoignant d’une mobilisation croissante des marchés de capitaux.
Cette hausse de l’endettement est ainsi moins le symptôme d’une fragilité que l’expression d’un pays qui parie sur son futur productif, alors même que l’État, lui aussi, engage des réformes d’ampleur — notamment la généralisation de la protection sociale et les programmes d’investissement territorialisés — qui modifient en profondeur les arbitrages économiques.
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La photographie livrée par la Bourse de Casablanca dépeint un Maroc en transition économique avancée. La majorité des sociétés cotées affiche une croissance régulière, plusieurs filières de l’industrie automobile aux télécoms, en passant par la logistique et les matériaux, ce qui va renforcer leurs positions, et permettra à l’investissement de reprendre une trajectoire ascendante. Cette dynamique se conjugue à la résilience des fondamentaux macroéconomiques: déficit budgétaire contenu à 4,3% du PIB, selon le ministère des Finances, inflation maîtrisée, réserves de change stables à près de 370 MMDH selon Bank Al-Maghrib.
Mais cette trajectoire demeure fragile. La demande interne manque de vigueur, le marché du travail peine à absorber les jeunes entrants, et la croissance européenne limite le potentiel d’exportation. Dans ce contexte, la performance de la cote casablancaise est un signal encourageant, mais elle souligne aussi la nécessité de consolider les leviers internes de croissance, notamment l’investissement privé, l’innovation et la montée en gamme industrielle.
Au-delà des chiffres, le seuil des 246,4 MMDH n’est donc pas seulement une performance comptable. C’est l’indicateur d’un rééquilibrage à l’œuvre, dont l’issue dépendra de la capacité du Maroc à maintenir le rythme d’investissement, à renforcer sa base industrielle et à s’adapter aux turbulences internationales qui jalonneront l’année 2026.







