Aéronautique. Comment (et pourquoi) le Maroc est devenu un pilier stratégique dans la chaîne de valeur de Safran

Le roi Mohammed VI, accompagné du prince héritier Moulay El Hassan, lors de la cérémonie de lancement des travaux du complexe industriel de moteurs d’avions du groupe Safran, le 13 octobre 2025 à Nouaceur.

Le 14/10/2025 à 18h52

VidéoEn 25 ans, le Maroc est passé du statut de partenaire industriel à celui de pivot stratégique pour Safran. Le groupe français consolide aujourd’hui son ancrage à travers le lancement des travaux d’un complexe industriel de moteurs d’avions. Derrière cette expansion, se dégage un modèle économique, social et géopolitique qui conforte la place de Rabat dans la chaîne mondiale de valeur aéronautique. Décryptage.

Vingt-cinq ans après son arrivée dans le Royaume, Safran n’y voit plus seulement un site de production complémentaire. Le Maroc s’est imposé comme une composante essentielle de son dispositif mondial. Huit sociétés du groupe y sont désormais implantées, concentrées autour de Casablanca et Rabat, dans un écosystème qui s’est densifié au fil des années, à mesure que l’industrie aéronautique marocaine montait en puissance.

Ce développement s’inscrit dans une logique de continuité et de confiance. «Le Maroc est un écosystème connu du groupe Safran, puisqu’on y est présent depuis 25 ans. Le pays dispose de viviers de compétences importants dans le secteur aéronautique, grâce à des écoles de formation et à son site industriel en pleine expansion», nous explique Abdelhafid Boufettal, président de Safran Aircraft Engines Services Casablanca.

Cette présence ancienne s’est transformée en stratégie d’avenir. Lundi 13 octobre à Nouaceur, en présence du Souverain, Safran a posé la première pierre d’un complexe industriel qui redéfinit la relation entre le groupe et le Royaume. Ce projet est d’une ampleur inédite puisqu’il rassemble deux unités complémentaires au cœur de la plateforme intégrée Midparc, qui est aujourd’hui l’un des symboles de la réussite industrielle marocaine.

Un projet d’envergure mondiale pour la maintenance et l’assemblage

Annoncé le 28 octobre 2024 lors de la visite à Rabat du président de la République française, Emmanuel Macron, le site Safran Aircraft Engine Services Casablanca permettra d’accompagner la croissance rapide de la flotte de moteurs LEAP de CFM International, une société commune de Safran Aircraft Engines et GE Aerospace, qui équipent aujourd’hui la majorité des avions monocouloirs de nouvelle génération, Airbus A320neo et Boeing 737MAX.

Cet atelier, opérationnel en 2027, disposera d’une surface industrielle de 25.000 m², d’une capacité de maintenance de 150 moteurs par an, et générera 600 nouveaux emplois à horizon 2030. Il représente un investissement de l’ordre de 120 millions d’euros.

(Z.Agzit/Le360)

Safran a également choisi le Maroc pour installer une nouvelle ligne d’assemblage dédiée au moteur LEAP-1A pour Airbus. Ce site complètera les capacités existantes du site de Villaroche en France pour répondre aux forts enjeux de montée en cadence du programme. En effet, CFM International prévoit d’atteindre un rythme annuel de production d’environ 2.500 moteurs LEAP à partir de 2028.

Ce nouveau site d’une superficie de 13.000 m² sera opérationnel à partir de fin 2027 et permettra d’assembler jusqu’à 350 moteurs par an. Il générera la création de 300 emplois et représente un investissement d’environ 200 millions d’euros.

Le moteur LEAP, cœur de cette nouvelle phase, équipe plus de 4.000 avions dans le monde et totalise un carnet de commandes de 11.500 unités. Plus léger, plus silencieux et plus économe que ses prédécesseurs, il symbolise la transition énergétique du transport aérien.

«Le projet MRO est l’un des plus importants au monde dans le domaine de la maintenance des moteurs LEAP. Nous aurons une capacité de 150 moteurs par an et nous allons recruter plus de 600 personnes hautement qualifiées. Ce sont des ingénieurs, des techniciens et des opérateurs formés à l’Institut des métiers de l’aéronautique et en partenariat avec le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales», signale Abdelhafid Boufettal.

Le Maroc, position géographique et stabilité en atouts

Le choix du Maroc obéit à une logique technologique, géographique et politique. La proximité avec l’Europe, l’ouverture sur l’Afrique, la stabilité du cadre macroéconomique et la solidité institutionnelle en font un territoire singulier dans le paysage industriel mondial, comme le précise bien le président de Safran Aircraft Engines Services Casablanca: «Le positionnement géographique du Maroc en fait un point de liaison naturel entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Le cadre réglementaire est favorable et le soutien des pouvoirs publics en font un pays stable, macroéconomiquement parlant, et tout cela grâce au leadership de Sa Majesté le roi Mohammed VI

Cette stabilité constitue le socle du modèle marocain. Parce que la planification industrielle s’inscrit dans le temps long, la prévisibilité économique et politique devient une ressource stratégique. C’est pourquoi Safran s’appuie ici sur un environnement maîtrisé, une politique industrielle cohérente et une logistique qui permet de relier rapidement les grands hubs européens et africains.

Autre atout du Maroc... et non des moindres: la compétence de ses ingénieurs et de ses techniciens. Le groupe a bâti une véritable filière de formation, articulée entre l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA), l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), le Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS) et les écoles d’ingénieurs. «Nous allons chercher des jeunes ingénieurs dans les écoles marocaines. Nous recrutons également des techniciens en partenariat avec l’OFPPT et les instituts de formation mécanique. Ces jeunes suivent un parcours théorique et pratique avant d’intégrer nos ateliers, puis ils sont formés dans nos réseaux pour atteindre leur maturité professionnelle», détaille Abdelhafid Boufettal.

La logique est on ne peut plus claire. Former sur place, retenir les talents, créer des carrières durables. Le groupe applique au Maroc les standards de sécurité et de qualité les plus stricts, car, comme le rappelle notre interlocuteur, «dans le domaine aérien, la sécurité passe avant tout».

La vision royale, catalyseur d’un modèle industriel durable

L’histoire du partenariat entre Safran et le Maroc ne peut être dissociée de la vision industrielle portée par le roi Mohammed VI. Dès le début des années 2000, le Souverain a fait du développement industriel un axe de souveraineté économique, en identifiant des secteurs stratégiques capables de générer emploi, transfert de technologie et stabilité. Cette vision s’est traduite par la création de zones industrielles intégrées, la modernisation du système de formation, et l’encouragement à l’investissement étranger dans des secteurs à haute valeur technologique.

Ross McInnes, président du Conseil d’administration de Safran, l’a exprimé lors de la cérémonie de Nouaceur. «La présence de Sa Majesté le Roi à cette cérémonie revêt une signification profonde. Elle témoigne de l’intérêt que le Souverain accorde au développement industriel du Royaume, mais aussi de l’environnement d’investissement exemplaire que Sa Majesté ne cesse de promouvoir à travers une vision éclairée, audacieuse et tournée vers l’avenir», a-t-il précisé.

Cette constance politique, rare dans un monde industriel souvent soumis aux aléas, explique en grande partie la fidélité des partenaires. Depuis 1999, Safran n’a jamais ralenti son rythme d’expansion au Maroc. Mieux, le groupe a entraîné dans son sillage une dizaine de sous-traitants et équipementiers français et européens, renforçant le tissu industriel local.

Une chaîne de valeur nationale en expansion continue

Les effets d’entraînement du complexe de Nouaceur dépassent largement le périmètre de Safran. Chaque implantation du groupe attire de nombreux fournisseurs et prestataires. Ce maillage densifie la chaîne de valeur aéronautique marocaine. «Ce projet permettra d’ancrer durablement le Royaume dans la chaîne mondiale des motoristes», a souligné hier le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour.

L’écosystème marocain, aujourd’hui, ne se limite plus à l’assemblage. Il s’étend à la conception, à la maintenance, à la logistique et à la recherche appliquée. L’objectif est de faire du Maroc un acteur complet, capable d’assurer l’ensemble du cycle industriel d’un moteur d’avion.

Safran a également inscrit son expansion marocaine dans une logique de durabilité. Le groupe a signé un protocole d’accord pour alimenter ses sites en énergie renouvelable à partir de 2026. Pour Olivier Andriès, directeur général du groupe, cette dimension écologique fait désormais partie intégrante de la compétitivité industrielle. «Nous voulons bâtir ici deux sites de référence, performants, innovants et durables. Deux sites qui vont renforcer la relation d’amitié et de partenariat entre Safran et le Maroc», insiste-t-il.

Le recours à l’énergie verte permettra de réduire significativement l’empreinte carbone du site et d’aligner la production marocaine sur les exigences environnementales européennes. Un atout décisif pour les compagnies aériennes et les avionneurs qui cherchent à réduire leur empreinte environnementale sur l’ensemble de la chaîne.

Un effet multiplicateur sur l’emploi et les compétences

Avec les extensions prévues, Safran prévoit de recruter 2.000 personnes supplémentaires dans les 5 prochaines années. Cette dynamique crée un cercle vertueux. La demande en compétences entraîne la modernisation des programmes de formation, l’apparition de nouveaux métiers, et une montée en gamme technologique des entreprises locales.

Safran n’est pas le seul groupe à miser sur le Maroc. Airbus, Boeing, Thales, Spirit AeroSystems ou encore Stelia Aerospace y ont installé des sites majeurs. Tous évoquent les mêmes arguments: stabilité, proximité, compétences, climat d’investissement.

Mais Safran occupe une place singulière. Sa présence depuis 25 ans, son intégration dans le tissu économique local et son engagement dans la formation en font un partenaire plus qu’un investisseur. «Nous ne produisons pas au Maroc, nous produisons avec le Maroc», résume si bien Ross McInnes, président du Conseil d’administration du groupe. Une formule devenue symbole d’un partenariat équilibré.

Par Hajar Kharroubi et Abderrahim Et-Tahiry
Le 14/10/2025 à 18h52