«Les réglementations qui semblent protéger les opérateurs historiques peuvent fausser les marchés et avoir des répercussions critiques sur l’ensemble de l’économie». Cette phrase extraite du dernier rapport de la Société Financière Internationale (une institution du Groupe Banque Mondiale), intitulé «Diagnostic du secteur privé», sonne comme un désaveu pour le régulateur du secteur des télécoms au Maroc.
Deux mois après la sortie d'un rapport accablant de la Cour des Comptes sur les services en ligne, c’est désormais au tour de la Banque Mondiale de tirer, une nouvelle fois, la sonnette d’alarme, estimant que le Maroc a pris du retard et peine toujours à combler la fracture numérique.
«Bien que dix ans se soient écoulés et que plusieurs décisions aient été prises, l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) n’a pas procédé au dégroupage de la boucle locale», note le rapport de la SFI, qui accuse nommément l’opérateur historique, Maroc Telecom, en précisant qu’il «détient toujours plus de 99% du marché de l’ADSL (haut débit fixe)».
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La Banque Mondiale rappelle au passage que ce retard pris dans le déploiement de la réglementation encadrant le partage des infrastructures (dit «dégroupage») a poussé l’un des opérateurs, inwi, en l'occurrence, à déposer début 2018 une plainte contre Maroc Telecom pour l'obtention de dommages et intérêts à hauteur de 620 millions de dollars (soit l'équivalent de 5,7 milliards de dirhams).
L’absence de concurrence, conjuguée à l’indifférence totale et inexpliquée de l’ANRT, a eu pour effet de freiner le développement d’un secteur vital pour l’économie du pays.
«Le taux de croissance du secteur des TIC a cependant ralenti au Maroc, qui a pris du retard par rapport aux pays qu’il considère comme concurrents dans ce domaine, notamment en termes de pénétration du haut débit (…). Le marché du haut débit au Maroc reste limité aux principaux centres urbains et routes du pays, aggravant la fracture numérique. Le taux de pénétration du haut débit est l’un des plus faibles de la région MENA (17,5 % des ménages pour le haut débit fixe et 41 % de la population pour le haut débit mobile en 2015, alors que la moyenne régionale en 2015 était respectivement de 41 et 85 pour cent), et est considérablement inférieur à celui de certains pays d’Europe de l’Est, où les taux sont proches de 50% pour le fixe et 100% pour le mobile», indique la SFI dans son rapport.
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Aux yeux de la Banque Mondiale, la forte dépendance à l’égard du réseau mobile nuit à l’expansion de l’Internet haut débit et à l’adoption du numérique.
Chiffres à l’appui: le taux de pénétration du mobile (nombre de cartes SIM rapporté à la population) ayant atteint 128%, le marché devient saturé. Cette situation, poursuit la même source, s’est traduite par une baisse des prix et des revenus des opérateurs, fragilisant en conséquence leur modèle économique fortement dépendant de la téléphonie mobile. Environ 70% du chiffre d’affaires de Maroc Telecom, voire la quasi-totalité de celui de Méditel et d’Inwi, proviennent des infrastructures de réseaux mobiles.
Est-ce que le diagnostic inquiétant de la Banque Mondiale sur le monopole exercé par Maroc Telecom sur le réseau cuivre va pousser Abdeslam Ahizoune, l’inamovible patron de l’opérateur historique, à privilégier l’émergence d’un secteur clef pour le développement du pays à des profils partisans?
Eu égard à son obstination à refuser l’accès aux autres opérateurs du réseau cuivré dont il a hérité de l’Etat, en dépit du projet de loi 121-12 modifiant et complétant la loi sur les télécoms, pourtant approuvée en conseil des ministres en 2014, prévoyant des pénalités dissuasives, peu de chance que ce cri d’alarme de la Banque Mondiale soit entendu.
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Le Maroc, qui avait jadis fait partie du peloton de tête au moment de la libéralisation du secteur des télécoms, prend désormais de plus en plus de retard dans un domaine qui est pourtant un élément constitutif de la société de demain.
Il est à craindre que le retard accumulé en raison de l’obstination de Maroc Telecom à maintenir un monopole sur le fixe, et l’abdication manifeste de l’ANRT de la mission pour laquelle elle a été créée, ne creusent davantage le fossé qui sépare le Maroc des pays émergents.