Ce n’est jamais une image déloyale que me renvoie le miroir quand je regarde l’Afrique en face. Mais une image d’exigence, faite d’obscur et de lumière. C’est mon visage et le sien que je vois, mélangés, d’une fraternité exigeante et siamoise. Bâti sur une liberté acquise après d’âpres batailles.
Je traverse ce continent depuis très longtemps et sa pointe depuis les premiers émois d’une jeunesse qui m’ont conduit au bord du monde et aux quatre coins de lieux désespérés mais si riches de découvertes.
Je peux dire à l’heure qui est la mienne aujourd’hui, où les instants s’amenuisent et se bousculent, sans rigueur ni douceur, que j’aime ce continent, cette Afrique, plus qu’aucun autre.
Je veux dire que toutes les terres se nomment ou doivent se nommer Afrique pour porter le poids de cette humanité qui vit là et qui a payé le prix fort de son existence, un prix indu pour jouir du droit d’être.
Toutes les terres se nomment ou doivent se nommer Afrique pour se laver d’un crime imprescriptible commis contre elle.
Des hommes et des femmes reposent dans les océans et dans des mémoires forcloses car d’autres hommes venus d’ailleurs les ont trahis.
Cette Afrique, océane et australe, est devenue mienne, je la traverse dans l’intime et la joie.
Si le visage des absents persiste, ces terres souffrent de n’être pas pleinement ce qu’elles ont vocation d’être.
Le destin d’une terre, comme celui d’un peuple, ne se négocie pas.
Il y a, dans les heures anciennes, une mémoire oblitérée, mémoire de l’Afrique et du monde, qui se souvient de tout, et de ce que la mémoire a oublié.
Car l’Afrique, c’est nous tous, vainqueurs et vaincus.
Par ses blessures indélébiles, l’Afrique a forgé le visage du monde qui a triomphé sans gloire en la mettant à genoux.
Il nous reste à laver notre visage de ce triomphe, car le visage, est notre première humanité et notre seul nom.
Il dit nos tourments et rend leur mémoire aux terres meurtries.
Nous avons un lourd tribut à payer pour adhérer pleinement à l’horizon de nos espérances et seule la mémoire peut dessiner ce que doit être le monde puisque les scarifications de l’intime disent une Afrique qui se bat pour la survie de tous.
C’est ici dans cette Afrique à nulle autre pareille, située par-delà l’aube des certitudes, que l’on prend la mesure de certaines des plus grandes blessures de notre temps.
Il faut se convaincre que nous sommes la blessure et le monde.
Et se convaincre que nous sommes l’à venir à bâtir.
Car il y a au fond de chacun de nous un être debout.
Debout et libre.
C’est de cette Afrique que nous pouvons être le nom. D’aucune terre qui a violé le pacte intime des nations.
Les espérances de l’Afrique furent arables. Et ses rêves arraisonnés. Tout cela a conduit à une forfaiture où nul ne peut être éligible et trouver son éloge tant que l’humanité refuse d’être plurielle.
Alors de quelle Afrique sommes-nous le nom ?
De quel rêve qui irrigue les humeurs et les saisons ?
L’Afrique est notre liberté et notre visage à venir.
L’Afrique est à genoux, mais c’est une terre debout.
Les bruits de bottes céderont et d’autres voix s’élèveront de tous les horizons pour rappeler la plus belle aventure qu’il reste à écrire.
L’Afrique sera alors un arc-en-ciel de syllabes toujours plus vives pour fixer dans le cœur renouvelé des jours nos destinées partagées. Mais tant qu’elle ne le sera pas, nous serons orphelins d’une mémoire qui peine à dire les hommes et les femmes que nous sommes.






