Réforme du cinéma au Maroc: ce que veulent les professionnels

Fadoua Maroub, présidente de l'Association des Rencontres méditerranéennes du cinéma et des droits de l’homme.

Le 03/02/2024 à 16h30

VidéoAprès avoir présenté les conclusions et les recommandations de son rapport sur la politique publique du cinéma et des droits de l’homme au Maroc, l’Association des rencontres méditerranéennes du cinéma et des droits de l’homme (ARMCDH) a eu une rencontre avec certains professionnels du secteur, à leur demande, pour ouvrir le débat. Compte-rendu.

L’Association des rencontres méditerranéennes du cinéma et des droits de l’homme (ARMCDH) a organisé une rencontre d’échange intitulée «Gouvernance du cinéma au Maroc: urgence de la réforme», vendredi 2 février dans un hôtel de Casablanca. Les membres de cette association, créée en 2010 et présidée par l’activiste Fadoua Maroub, se sont déplacés depuis leur fief de Rabat pour organiser cette conférence à la demande de plusieurs représentants de chambres professionnelles du cinéma.

Parmi eux, on citera le réalisateur et producteur Nabil Ayouch, le producteur Khalid Nokri, le réalisateur et enseignant à l’Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel et du cinéma (ISMAC) Abdelilah El Jouahri, le réalisateur Saâd Chraïbi et le cinéaste Hassan Benjelloun. Chacun d’eux a pris la parole après que Fadoua Maroub a présenté les conclusions et les recommandations du rapport «Politique publique du cinéma et droits de l’homme au Maroc: pour une harmonisation avec la constitution des droits de l’homme et libertés», réalisé par l’ARMCDH et co-financé par l’Union européenne (UE) et l’Institut français du Maroc.

«Nous sommes là à la demande de quelques professionnels du cinéma pour leur présenter les conclusions générales de ce rapport qui a nécessité deux ans de travail, depuis 2021, et ses principales recommandations», a déclaré Fadoua Maroub pour Le360, précisant que pour réaliser ce rapport de 140 pages, une convention a été signée en 2021 avec le Centre cinématographique marocain (CCM) pour avoir accès aux documents.

Fonds d’aide et avances sur recettes

Parmi les recommandations de ce rapport déjà présenté en décembre 2023 en présence d’un représentant du CCM, on retrouve notamment la nécessité de la mise en place au sein du CCM d’une entité dédiée au recouvrement et au suivi des remboursements des avances sur recettes versées aux productions cinématographiques, que ce soit au niveau du service du fonds d’aide ou de la division de la production. Plus particulièrement, l’ARMCDH rapporte que le Fonds d’aide à la production des œuvres cinématographiques a permis de financer en moyenne, durant les trois dernières années, «51 films par an».

AnnéeNombre de films subventionnésSubventions accordées
(en millions de dirhams)
20214760,7
20203340,08
20197373,5

L’ARMCDH recommande également de créer des espaces de dialogue franc et continu entre les acteurs, notamment au Festival national du film, entre autres, afin de favoriser des actes engageant le CCM et les autres parties prenantes à les mettre en œuvre.

Une autre recommandation du rapport a trait à la mise en place d’un dispositif de contrôle interne pour accompagner l’amorçage du fonds d’aide, alimenté par les régions, en capitalisant sur les expériences des fonds d’aide déjà opérationnels, et préciser les principes et critères d’octroi dudit fonds d’aide à la fois dans son règlement intérieur et dans son cahier des charges.

Appels à la nomination urgente d’un directeur du CCM

Après avoir loué la démarche de l’ARMCDH et considéré que c’est la première fois qu’une telle étude pointue parle de la nécessité d’une bonne gouvernance dans le secteur du cinéma au Maroc, avec des recommandations claires, les professionnels présents sur place ont mis en avant l’urgence de la nomination d’un directeur du CCM.

«Cela fait deux ans que nous attendons un directeur. Après le départ de Sarim Fassi-Fihri, le poste est resté vacant et nous n’avons pas d’interlocuteur direct. On nous dit qu’il faut attendre la refonte du texte de loi régissant le secteur du cinéma au Maroc avant de choisir un directeur général suite à un appel à candidature», a souligné Nabil Ayouch. Assis à ses côtés, Khalid Nokri a insisté lui aussi sur la nécessité de nommer un directeur général à la tête du CCM.

Même son de cloche du côté de Saâd Chraïbi. «Le CCM a, depuis sa création, ce qui fait trente ans, assuré une mission de contrôle. Nous avons besoin d’un partenaire pour avancer dans le dialogue et travailler dans la confiance et de manière sereine», a-t-il assuré.

La rencontre s’est achevée sur une promesse de l’ARMCDH de faire le suivi des recommandations de son rapport et d’en faire le plaidoyer au Parlement.

Voici la liste complète des recommandations du rapport

-Une politique publique cinématographique basée sur la responsabilité de l’État dans le domaine de la culture et son rôle de garant des libertés d’expression et de création.

-Garantir une vraie politique culturelle en intégrant le cinéma et le CCM sous tutelle du département de la Culture.

-Accompagner la stratégie de l’État en matière de droit humains et de libertés en transposant les différentes dispositions constitutionnelles et les engagements internationaux du Maroc dans les textes juridiques et institutionnels régissant le secteur du cinéma.

-Renforcer l’harmonisation du cadre juridique et institutionnel avec les dispositions constitutionnelles et les engagements internationaux du Maroc, de manière à garantir la protection des libertés d’expression et de création comme des droits inaliénables et inhérents à la dignité de la personne humaine

-Définir des moyens de recours pour les tiers relativement aux services du CCM

-Intégrer la promotion de la culture des droits humains dans les missions du CCM

-Procéder à la réduction du pouvoir discrétionnaire du CCM en relation notamment avec les autorisations de tournage et la censure, par un cadre réglementaire légal qui régit la mise en œuvre de ces deux compétences

-Rappeler systématiquement l’importance de la liberté de création dans les textes régissant ou ayant trait au statut de l’artiste

-Créer des espaces de dialogue franc et continu entre les acteurs, notamment lors du Festival national du film, afin de favoriser des actes engageant le CCM et les autres parties prenantes à les mettre en œuvre.

-Augmenter la fréquence des réunions du CA du CCM

-De même, créer un comité de direction composé des chefs de division du CCM et du secrétaire général, afin d’échanger des avis et de réfléchir sur les questions stratégiques et de s’atteler à les mettre en œuvre à travers la proposition de moyens appropriés.

-Élaborer le règlement intérieur et la charte du CA.

-Garantir la diversité de la représentation des acteurs du monde du cinéma au CA.

-Permettre une plus grande implication des régions en prévoyant leur représentation au CA

-Mettre en place un dispositif de contrôle interne pour accompagner l’amorçage du fonds d’aide alimenté par les régions, en capitalisant sur les expériences des fonds d’aide déjà opérationnels.

-Préciser les principes et critères d’octroi dudit fonds d’aide à la fois dans son règlement intérieur et dans son cahier des charges.

-Définir les qualifications professionnelles et les compétences des membres des commissions des fonds d’aide requises pour l’étude et l’examen des projets candidats au soutien financier.

-Élaborer un règlement intérieur pour chacun des trois fonds, ainsi que le prévoient les textes en vigueur.

-Veiller à ce que les procès-verbaux des commissions soient plus complets, en indiquant les débats entre les membres et leurs positions relatives à l’octroi des aides, et en retranscrivant en détail l’évaluation artistique des différents participants et l’estimation financière des montants alloués, afin d’assurer la transparence dans la sélection des bénéficiaires.

-Établir une grille de notation à partir des critères d’évaluation de chaque commission.

-Mettre en place au sein du CCM une entité dédiée au recouvrement et au suivi des remboursements des avances sur recettes versées aux productions cinématographiques, que ce soit au niveau du Service du fonds d’aide ou de la Division de la production.

-Veiller à ce que les procès-verbaux des sessions du Fonds d’aide des festivals mentionnent également les dossiers refusés et les motifs de refus.

-Revoir la logique de soutien aux festivals, afin d’encourager le développement d’une vraie dynamique professionnelle (site web des organisateurs des festivals, revues de presse, etc.) à tous les niveaux et une plus-value au niveau de chaque région/territoire concerné.

-Fond d’aide à la numérisation des salles : Définir les critères permettant de se prononcer sur l’habilité d’une salle à bénéficier de l’aide proposée : conditions de confort souhaitées, normes technologiques minimales (sonorisation et projection), conditions de sécurité à mettre en place dans la cabine de projection.

-Présenter le projet culturel de la salle demandant l’aide conformément à l’article 2 de l’arrêté qui indique l’apport du projet au niveau culturel, social et économique, comme critère d’octroi du soutien.

-Fond d’aide à la numérisation des salles : Définir les critères permettant de se prononcer sur l’habilité d’une salle à bénéficier de l’aide proposée : conditions de confort souhaitées, normes technologiques minimales (sonorisation et projection), conditions de sécurité à mettre en place dans la cabine de projection.

-Présenter le projet culturel de la salle demandant l’aide conformément à l’article 2 de l’arrêté qui indique l’apport du projet au niveau culturel, social et économique, comme critère d’octroi du soutien.

-L’engagement du Parlement à davantage de contrôle de la politique publique du cinéma, notamment à l’égard du suivi et de l’interaction avec les recommandations des institutions de l’État.

-L’arrêt de tout appel à la censure au sein d’une institution législative et l’urgence de mettre en place d’un cadre légal de protection de la liberté de création.

-L’engagement du Parlement à davantage de contrôle de la politique publique du cinéma, notamment à l’égard du suivi et de l’interaction avec les recommandations des institutions de l’État.

-L’arrêt de tout appel à la censure au sein d’une institution législative et l’urgence de mettre en place d’un cadre légal de protection de la liberté de création.

Par Qods Chabâa et Said Bouchrite
Le 03/02/2024 à 16h30