L’universitaire et journaliste Mohamed Benabid a présenté, ce vendredi, son nouvel ouvrage intitulé «Lutter contre la désinformation: savoirs, enjeux et pratiques», une contribution dense et structurée à l’analyse des dérives informationnelles contemporaines. Devant une assistance fournie réunie à l’UM6 Rabat-Salé, l’auteur a détaillé les principaux mécanismes qui sous-tendent la désinformation, ainsi que les leviers d’action susceptibles d’en contenir la propagation.
D’emblée, Mohamed Benabid a insisté sur le fait que son livre se veut moins un cri d’indignation qu’un outil de compréhension: il s’agit, selon lui, de «comprendre cet écosystème et d’interroger les mécanismes profonds qui sont à l’origine de la désinformation sur les plans économique, technologique, institutionnel ou psychologique». L’approche se veut analytique, ancrée à la fois dans les sciences de l’information et de la communication et dans l’observation du terrain médiatique.
Édité par le Policy Center for the New South de l’UM6P, l’ouvrage, qui compte près de 200 pages, appréhende la désinformation comme un phénomène structurel, inscrit dans les transformations profondes de l’espace public numérique. Il en décrypte les logiques de production, de circulation et d’amplification, avant de proposer des pistes de régulation et de résilience. Le livre traite ainsi des enjeux de la connaissance, des pratiques professionnelles et de la responsabilité collective, en mettant particulièrement en avant le rôle de l’éducation aux médias et de l’écosystème journalistique dans son ensemble. Il s’adresse à un public élargi: chercheurs, professionnels des médias, régulateurs, mais aussi citoyens soucieux de comprendre les dynamiques informationnelles actuelles.
Interrogé par Le360, Mohamed Benabid a expliqué avoir nourri sa réflexion de sa double trajectoire, journalistique et académique, qui lui a permis de «conceptualiser les phénomènes constatés sur le terrain». Le livre, souligne-t-il, identifie «un certain nombre de leviers sur lesquels on peut agir» pour répondre au défi de la désinformation.
Le premier levier concerne «la responsabilisation des plateformes», autrement dit, la mise en place de mécanismes de gouvernance et de régulation plus exigeants pour les grands acteurs numériques, en matière de modération des contenus, de transparence algorithmique et de lutte contre les campagnes coordonnées de manipulation de l’information.
Le deuxième levier touche au cœur du système médiatique: «Dans cet écosystème, il est important que les médias historiques retrouvent une résilience économique. Il faut que le journalisme, au sens conventionnel du terme, puisse être pérennisé, parce que sans cela on va avoir tout le temps cette asymétrie», explique-t-il. Pour l’auteur, la fragilisation économique des rédactions et la crise des modèles éditoriaux alimentent le terrain de jeu des acteurs de la désinformation. «On a besoin d’un écosystème médiatique et de modèles éditoriaux qui retrouvent une nouvelle vigueur», insiste-t-il, en plaidant pour un renforcement des capacités des médias de référence, garants de la vérification et de la hiérarchisation de l’information.
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Le troisième levier consiste à «agir sur l’opinion publique, sur les audiences, qu’il s’agisse de lecteurs ou de téléspectateurs, de manière à outiller la population pour qu’elle soit en mesure de distinguer un contenu vrai du faux». Il s’agit là d’un chantier de long terme: développer l’esprit critique, la littératie médiatique et informationnelle, et donner aux citoyens les clés pour naviguer dans un environnement saturé de contenus.
Mohamed Benabid plaide, en outre, pour une intervention «assez précoce, c’est-à-dire à l’école, pour se préparer aux enjeux actuels, notamment avec l’intelligence artificielle». Selon lui, les cursus d’éducation aux médias et à l’information doivent désormais intégrer un «niveau supplémentaire» lié aux nouveaux outils d’IA générative, à leurs potentialités comme à leurs risques en matière de manipulation des images, des vidéos et des textes.
C’est ce «panachage autour des trois leviers» – responsabilisation des plateformes, consolidation des médias professionnels et empowerment des publics – qui pourrait, conclut-il, «nous conduire vers une lutte efficace contre la désinformation».








