Mohamed Khouna: «Avec le projet des 150 salles de cinéma, nous voulons retrouver l’esprit des cinémas de quartier»

Mohamed Khouna, distributeur de films et président de la commission de création, de rénovation et de numérisation des salles de cinéma.

EntretienAvant la fin du mois de janvier 2024, 55 salles de cinéma, installées dans les centres culturels de plusieurs villes du Maroc, ouvriront leurs portes. Un chantier porté par le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, et conduit par Mohamed Khouna, distributeur de films et président de la commission de création, de rénovation et de numérisation des salles de cinéma. Dans cet entretien avec Le360, ce dernier livre les détails de cette opération qui promet de revitaliser la consommation du cinéma dans le pays.

Le 30/12/2023 à 18h45, mis à jour le 30/12/2023 à 18h45

Mohamed Khouna, à la tête d’une entreprise de distribution de films basée à Oujda, est un Marocain de France. En 2017, il décide de rentrer au Maroc, pour transmettre ce qu’il a appris et ce qui le passionne: le cinéma et la promotion des films. Convaincu du rôle crucial de l’éducation par l’image, apte à forger des générations, Mohamed Khouna accompagne aujourd’hui le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication dans le projet de création de 150 salles de cinéma, annoncé en grande pompe par Mehdi Bensaïd. Il nous en parle et en dévoile les détails dans cet entretien avec Le360.

Le360: Sur six projets de création de salles approuvés par la commission de création, de rénovation et de numérisation des salles de cinéma, cinq sont le fait du groupe Cinerji, qui a obtenu à lui seul un budget de 20 millions de dirhams. Comment expliquez-vous cela?

Mohamed Khouna: La commission se réunit pour examiner les dossiers qui lui ont été confiés. Cinerji a déposé ses dossiers, tout comme Ouzoud ou encore l’Eden. Le budget n’a pas été octroyé uniquement à Cinerji, mais à un certain nombre de dossiers. Je m’explique. Si un mois avant la prochaine réunion de la commission, j’apprends qu’il y a huit dossiers de demande d’aide, je demanderais le budget pour ces huit projets. C’est ce qui fait que, par exemple, Ouzoud a obtenu le même montant que Cinerji, à savoir quatre millions de dirhams par projet de salle. Il est vrai que l’aide globale accordée à Cinerji paraît importante, mais si demain vous venez avec trois projets, nous étudierons chacun de ces projets, au cas par cas. Je peux vous assurer que tout le monde est logé à la même enseigne.

Les 4 millions de dirhams d’aide pour la création et la rénovation d’une salle de cinéma ne suffiront pas pour boucler le budget prévu par le promoteur. Comment se fera le montage financier?

Prenez le cas de Ciné Atlas: le promoteur a obtenu la subvention du fonds d’aide, mais il a également eu recourt à un prêt bancaire. C’est aussi le cas pour Cinerji. Le budget, c’est moi-même qui vais le demander en tant que président de la commission. C’est très simple: vous avez un budget à hauteur d’un million de dirhams pour la numérisation, et un budget à ne pas dépasser pour la rénovation et la construction, qui est d’un tiers. On ne distribue pas l’argent comme ça.

Y a-t-il eu des projets de création de salles que vous n’avez pas soutenus?

Non. Notre objectif est d’encourager le maximum d’opérateurs à créer des salles de cinéma. Nous sommes en train de contacter des propriétaires de salles mythiques pour les aider à les rouvrir et à les numériser, au lieu de vendre le terrain sur lequel elles sont bâties.

Le rythme d’investissement pour la création de salles de cinéma s’accélère au Maroc, alors qu’il y a une forte désaffection du public et que d’autres salles ferment. N’est-ce pas paradoxal?

Il fut une époque où le Maroc comptait 20 millions de spectateurs. Aujourd’hui, nous peinons à atteindre les 2 millions. Le vrai problème pour les salles est la transition. Il est difficile pour une salle qui projetait en 35 millimètres de passer au numérique. Et je vous rassure, c’était aussi très difficile pour les salles dans les autres pays, en Europe ou en Asie. Certains pays ont su affronter la réalité, d’autres ne l’ont pas fait ou ont tardé à le faire. Et c’est ce qui a conduit à la fermeture de nombreuses salles au Maroc.

Ensuite, lorsque le premier projet de fonds d’aide pour la création de salles de cinéma a vu le jour, il a été stoppé net par la pandémie du Covid-19. Et pour pouvoir accorder plus d’aides, il a fallu simplifier le système, car le processus existant était assez compliqué. Il y avait beaucoup trop de formalités et de «paperasse» qui dissuadaient le propriétaire d’une salle souhaitant la numériser et la restaurer.

«Si on crée des salles et qu’il n’y a pas de public, cela ne servira à rien. Je pense qu’il faut former la jeunesse à voir des films sur grand écran.»

—  Mohamed Khouna, président de la commission de création, de rénovation et de numérisation des salles de cinéma.

La procédure a été simplifiée. En quoi consiste-t-elle aujourd’hui?

Aujourd’hui, il n’y a pas réellement de critères contraignants pour quelqu’un qui veut ouvrir une salle de cinéma, dans n’importe quelle région au Maroc, bien que la priorité soit donnée à la région de l’Oriental et aux provinces du Sud. Il faut simplement disposer d’un projet de salle, et d’établir, sur la base d’un business plan, les coûts de la construction, de l’agencement et de l’équipement. Si ces démarches sont correctement effectuées, la commission accompagnera le projet.

Cela fait trois ans que le ministre de la Culture a annoncé la création de 150 salles de cinéma. Comment se présente la nouvelle cartographie du parc cinématographique au Maroc?

Lorsqu’on parle d’un projet de salles de cinéma, ce n’est pas comme si on parlait d’une ouverture de café. Il y a plusieurs critères qui entrent en ligne de compte. Le simple fait de pouvoir créer des salles est une bonne chose, mais il faut aussi créer des cinéphiles. Lorsque j’ai grandi en France, il y avait des salles de quartier. L’idée est de recréer ce qui a été perdu. Si on crée des salles et qu’il n’y a pas de public, cela ne servira à rien. Qu’est-ce qui va donner envie d’aller au cinéma? C’est la première des questions qu’il faudra se poser. Je pense personnellement qu’il faut former la jeunesse à voir des films sur grand écran. D’où l’idée du ministre de la Culture de s’appuyer sur les maisons de culture et les maisons de jeunesse en y créant des salles de cinéma.

Vous accompagnez ce chantier avec le département de la Culture et le Centre cinématographique marocain. Où en est le projet?

Comme je l’ai signalé précédemment, le projet a été effectivement lancé il y a trois ans, mais il a été interrompu par la crise sanitaire, et par une pénurie de matériel technologique qui, comme vous le savez, est surtout fabriqué en Chine. La finalité est d’obtenir 150 écrans installés dans les maisons et centres culturels de plusieurs villes du Maroc. Concrètement, vers la fin du mois de janvier 2024, 55 salles seront prêtes.

«La logique est relativement simple: si vous avez plus de salles, il y aura plus de productions, et donc davantage de recettes.»

—  Mohamed Khouna, président de la commission de création, de rénovation et de numérisation des salles de cinéma.

Pouvez-vous nous donner un aperçu sur la localisation par ville de ces 150 salles, et aussi les prix pratiqués?

Les 150 salles du ministère de la Culture seront accessibles à un tarif compris entre 15 à 20 dirhams. Elles se trouvent dans la majorité des villes du Maroc, à Immouzzer, Larache, Chefchaouen, El Jadida, El Hoceima, Jerada, Nador, Bouarfa, Figuig, Guercif… La priorité est évidemment donnée aux villes où il n’y a aucune salle de cinéma. À titre d’exemple, à Oujda, nous avons deux salles: une de 1.200 sièges, au théâtre Mohammed V, et l’autre de 240 places, au Conservatoire de la ville.

Dans le projet du ministère, la plus petite salle compte 200 places. En tout, pour les 55 salles qui ouvriront en janvier, 24.000 fauteuils sont prévus. Et toutes ces salles seront équipées de projecteurs numériques de grande qualité, de la marque Christie, avec un système son et un serveur.

Avec le projet de 150 salles, nous avons l’ambition de récupérer ce que nous avons perdu il y a quinze ans: l’esprit des cinémas de quartier.

L’ouverture de ces 55 salles a pris un certain retard, puisque le ministre de la Culture l’avait annoncée pour le mois de novembre. Que s’est-il passé?

Nous aurions dû démarrer au mois de novembre ou décembre, mais le ministre de la Culture voulait absolument que l’ouverture des 55 salles se fasse en simultané. Surtout, la livraison de 150 projecteurs numériques prend énormément de temps. Les commandes avaient été passées, mais la livraison a tardé. À titre d’exemple, pour ses 8 projecteurs du multiplexe Pathé Californie, à Casablanca, Pathé Cinémas a dû attendre toute une année.

Pensez-vous que la multiplication des ouvertures de salles, y compris par des acteurs privés, transformera le paysage cinématographique marocain?

La logique est relativement simple: si vous avez plus de salles, il y aura plus de productions, et donc davantage de recettes. Contrairement à d’autres pays, au Maroc, nous n’avons malheureusement pas des acteurs comme les banques ou les chaînes de télévision qui investissent dans le cinéma, car les recettes sont faibles. Mais si on sort des films dans un environnement où les écrans sont plus nombreux, il y aura forcément davantage de recettes, ce qui encouragera les investisseurs à s’impliquer dans la production cinématographique. La simple ouverture du multiplexe Pathé Californie a permis d’augmenter les recettes. Cela signifie que le distributeur a amélioré ses recettes, et que les investisseurs ont encore plus de raisons de suivre.

Par Qods Chabâa
Le 30/12/2023 à 18h45, mis à jour le 30/12/2023 à 18h45