«La peinture marocaine me fascine, mais la fascination n’est qu’un début, ce premier mouvement qui porte celui qui regarde une toile… plutôt qui l’emporte par-delà le support/surface vers un monde de significations, plus peut-être: vers de nouveaux sens d’un monde éclaté, éclaboussé de couleurs, de traits, de formes qui se mêlent, s’entrelacent, se détachent et se quittent…»
Dans une passionnante introduction, Fouad Laroui explicite, dans le livre, intitulé "Lumières Marocaines", sa conception de l’art basée sur la distinction entre l’expérience esthétique et l’expérience existentielle, distinction qui donne son titre au texte : "donner à voir, donner à vivre".
Figures pionnières, icônes incontournables et jeunes créateurs questionnent leur univers intérieur autant que les problématiques d’un monde en pleine mutation, repoussant toujours plus loin les expérimentations plastiques.
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Fouad Laroui l’explique ainsi: «cela, comment l’entendre? Eh bien, de multiples façons qui ont en commun d’aller au-delà de l’apparence, de la guirlande, de l’ornement. Quelque chose d’essentiel se joue dans ce tremblé, dans cette rupture de ton, dans cette géodésique contrainte par un tenseur tout intérieur (…).»
Passant de Bellamine à Fatiha Zemmouri et de celle-ci à Dibaji ou Mellehi, Laroui plaide pour une «éducation du regard» afin d’apprendre à apprécier l’art contemporain quand il devient leçon de vie. «Pour voir Dibaji, il faut peut-être savoir. Il faut avoir l’œil chargé d’histoire et de culture. Un regard neuf, ça ne veut rien dire, il y a de la cécité et beaucoup d’aveuglement devant cette prétention, ce culte de la tabula rasa. Éduquons-le, ce regard... »
Dans ce livre très personnel, Laroui passe de la question de l’art à la question de Renan: qu’est-ce qu’une nation? Il pointe tout d’abord un paradoxe: «seul et ensemble… Nous touchons là à l’ambiguïté de tout ce qu’on désigne comme ‘art national’. Lumières marocaines… Certes. Art marocain… Oui. Mais qui ne voit la complexité de ces dénominations? Une notion collective et une notion individuelle s'entremêlent -la nation est un agrégat, le geste de l’artiste est irréductiblement individuel. Yamou m’appartient-il plus qu’aux Péruviens? Comment ?»
Mais ce paradoxe n’est qu’apparent: il y a dans la nation de l’individuel, de l’universel. («Évoquer Soulages quand on parle de Rabie? Malevitch pour Melehi? Un nabi japonisant pour Yamou? (…) Saisi devant un Essaydi, si je lisais entre les lignes, si j’y voyais un salut à Manet, une Olympia, une odalisque ? »), et du local; et c’est ce triangle vertueux qui assure la liberté de chacun, la diversité apparente et la profonde unité, celle de la nation.
«Ce sont des leçons de vie, ce sont de poignants commentaires portés sur ce monde qui est le nôtre, c’est la persistance de la mémoire, c’est cent fois la preuve que la nation est un singulier pluriel… »
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Laroui conclut par ce bel hommage aux artistes : « La vérité du monde, nous la créons à chaque instant. Nos rêves pensent, implacablement. Et jamais ils ne s’arrêtent. Le moi profond se révèle. Gratitude envers les artistes qui nous donnent des nouvelles de nous-mêmes.»
Le lecteur a envie de lui retourner le compliment. Gratitude à ce grand amateur d’art de nous en révéler le moi profond et de nous donner de bonnes nouvelles de l’art contemporain marocain.
Lumières marocaines, Editions Langages du sud, 160 pages, 500 dhs.