Le cinéma marocain doit apprendre à gagner

Karim Boukhari.

ChroniqueL’arrivée de Réda Benjelloun, ancien de 2M, à la tête du Centre cinématographique marocain est une bonne nouvelle pour les amoureux du cinéma au Maroc. On vous explique pourquoi.

Le 12/07/2025 à 09h00

D’abord cette nomination remplit un vide assourdissant: depuis la fin du mandat de Sarim-Fassi-Fihri en 2021, cet organisme à l’importance stratégique était confié à des fonctionnaires intérimaires. L’intérim, dans la gestion des affaires publiques, c’est le vide. Et la nature a horreur du vide…

C’est comme un avion sans pilote: il ne décollera jamais et restera cloué au sol.

Réda Benjelloun, un profil polyvalent et cultivé, qui a bien roulé sa bosse, est un passionné de cinéma. Il connait les films, les hommes, les réseaux et les circuits. Il connait donc son «cinéma», ses carences et ses blocages, et sait sur quel bouton appuyer pour faire avancer le schmilblick.

Son dada, c’est le documentaire. Il a soutenu et accompagné, voire révélé, de nombreux documentaristes. Il est donc bien placé pour savoir ce qu’une poignée d’observateurs (dont votre serviteur…) n’arrêtent pas de répéter: le salut du cinéma marocain pourrait bien venir du documentaire. C’est-à-dire le cinéma du réel.

Les plus grands réalisateurs dans le cinéma d’aujourd’hui viennent de ce cinéma du réel. Ils ont fait leurs armes dans le documentaire avant d’exceller dans la fiction. Au Maroc, le seul film qui a connu une grande consécration internationale (étoile d’or au Festival de Marrakech) est le formidable «La Mère de tous les mensonges» d’Asmae El Moudir: le cinéma du réel dans toute sa splendeur. Et c’est tout sauf un accident.

Le CCM n’a jamais eu aucune politique du documentaire. Avec Réda Benjelloun, cela devrait changer. C’est une urgence. Le nouveau boss sait qu’il sera très attendu sur cette question.

«Gagner, cela veut dire ramener des trophées majeurs (pour les films) et faire en sorte que le cinéma devienne un réel axe de développement, voire de rayonnement»

Un autre point mérite aussi d’être relevé. A travers son histoire, le CCM a souvent été dirigé par des commis d’État ou des hommes qui portaient plusieurs casquettes. Ce qui était souvent source d’un insupportable conflit d’intérêts.

Un Souheil Benbarka (1986-2003) était à la fois réalisateur, exploitant, distributeur, etc. Et un Sarim Fassi-Fihri (2014-2021) était à la tête de l’une des plus grosses boites de production exécutive de films étrangers au Maroc. Au-delà de la qualité personnelle et professionnelle de ces hommes, leur présence à ce niveau de responsabilité était une aberration. Conflit d’intérêts.

Le CCM représente beaucoup d’enjeux et brasse de plus en plus d’argent. Les décisions du Centre conditionnent la (sur)vie de beaucoup d’intervenants et de secteurs. La logique veut qu’une telle administration soit confiée à une personnalité indépendante, qui ne fait partie d’aucun lobby et n’a aucun intérêt économique à défendre.

Quand on examine la liste des ex qui ont présidé le CCM, seul Noureddine Saïl (2003-2014) correspondait à ce profil indépendant. Réda Benjelloun est donc le deuxième. Et il lui faudra du courage et de la force pour préserver cette indépendance.

Dernier point à soulever, assez rapidement: le cinéma marocain doit apprendre à gagner. Un peu à la manière du football. Gagner, cela veut dire ramener des trophées majeurs (pour les films) et faire en sorte que le cinéma devienne un réel axe de développement, voire de rayonnement.

Dans le foot, le Maroc peut aujourd’hui rivaliser avec les meilleurs, non seulement en Afrique, mais dans le monde. Parce qu’il a appris à gagner. C’est ce genre de défi que le cinéma marocain doit relever. Mais il faut du temps, du travail… Et des hommes, compétents et indépendants, pour commencer.

Par Karim Boukhari
Le 12/07/2025 à 09h00