Le palais Alava-Esquivel menace ruine. C’est le constat désolant de la Mairie de Vitoria, ville médiévale et capitale du Pays basque dans le nord de l’Espagne, où se situe l’imposante bâtisse, datant du XVe siècle.
Pour la ville, ce palais n’est pas dénué d’importance et représente une tranche d’histoire importante du pays. C’est ici, dans ce bâtiment flanqué de deux tours ayant appartenu à la famille Alava, qui faisait partie de la noblesse du pays, que résidaient de prestigieux visiteurs tels que le roi François Ier ou encore le duc de Wellington, lequel remporta aux côtés du général Alava la bataille de Vitoria, marquant le début de la chute de l’empereur Napoléon.
Aujourd’hui aménagé en résidences civiles, le palais Alava-Esquivel est devenu, par un concours de circonstances, la propriété de la ville de Tanger à la fin des années 1960.
L’histoire incroyable d’un héritage improbablePropriété du duc de Tovar, Igracio de Figueroa y Bermejillo (1892-1953), le palais Alava-Esquivel fait partie de l’important patrimoine que possédait le duc en Espagne. A sa mort, le duc de Tovar a légué à sa sœur son patrimoine, mais celle-ci étant décédée en 1969, les biens mobiliers et immobiliers du duc devaient revenir, dans l’ordre de succession, au National Cancer Institute (NCI) et, en cas de refus, à la ville de Tanger.
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Et si Tanger figurait parmi les héritiers du duc, c’est parce que celui-ci, blessé lors de la guerre du Rif, fut si bien soigné à Tanger –où un hôpital porte d’ailleurs son nom – qu’il décida d’y établir sa résidence principale dès les années 1920.
Le NCI américain n’ayant pas accepté l’héritage du duc de Tovar, c’est donc à Tanger qu’en est revenue la propriété, au même titre qu’un immeuble à Madrid, revendu plus tard à la municipalité de la ville par Tanger pour la somme de 2,6 millions d’euros.
Des amendes qui s’accumulentMais depuis, l’état de délabrement de l’édifice ne cesse de s'accentuer, faute d’entretien. La mairie de Vitoria a donc sévi au fil des ans en infligeant des amendes à la municipalité marocaine, lesquelles sont aujourd’hui au nombre de sept… toutes restées impayées.
Ainsi, comme le révèle le média espagnol El Correo, la dette de Tanger s’élève aujourd’hui à 283.690 euros d’amendes non payées. Des amendes infligées à la ville marocaine pour ne pas s’être occupée de l’entretien et de la rénovation de l’édifice, mais aussi pour ne pas avoir payé des taxes telles que l’IBI (taxe sur les biens immobiliers) ainsi que la taxe Basura (pour le ramassage des ordures).
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Et si le conseil municipal de Vitoria s’alarme, c’est en raison de la présence dans l’édifice d’une dizaine de résidents. La sécurité de ceux-ci ne serait pas compromise, selon Ana Oregi, la conseillère pour le territoire et l’action pour le climat au sein du même conseil, mais il n’en demeure pas moins que cette situation est jugée «insoutenable» par Oscar Fernandez, porte-parole du parti Elkarrekin Podemos.
La question de la sécurité des riverains est devenue d’autant plus pressante que l’édifice a été épinglé par Hispania-Nostra, association à but non lucratif, déclarée d'utilité publique, qui œuvre depuis 1976 pour la défense, la promotion et la valorisation du patrimoine culturel et naturel.
Ainsi, en avril dernier, l’association, qui mène des programmes de surveillance du patrimoine en péril, a classé le palais Alava-Esquival sur sa liste rouge en raison de sa «détérioration générale» et du «risque de glissements de terrain».
Objectif du conseil municipal, récupérer la jouissance du palais Alava-Esquival. Et pour ce faire, la mairie de Vitoria mise sur une stratégie bien précise, atteindre le nombre maximum d’amendes pouvant être infligées, soit un total de dix, pour pouvoir lancer une procédure d’expropriation.
Un héritage qui coûte (trop) cher au MarocCe dossier n’est pourtant pas resté lettre morte au Maroc. En 2016, Mohamed Bachir Abdellaoui, alors maire de Tanger, s’était rendu à Vitoria pour mettre fin à ce litige entre les deux villes, et faire part de son engagement pour la restauration de la bâtisse, dont le montant des travaux se chiffrait à cette époque à deux millions d’euros, en plus des frais des amendes et taxes impayées.
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Mais si une partie des frais a bien été payée, 17.000 euros pour des frais de maintenance avancés par la mairie de Vitoria, la restauration, elle, n’a pas suivi, et le devenir du palais Alava-Esquivel s’est invité à nouveau lors des sessions ordinaires du conseil communal de Tanger.
Face à l’ampleur de l’enveloppe budgétaire à consacrer à cet héritage qui au fil du temps prend la forme d’un cadeau empoisonné pour la municipalité de Tanger, il était alors question en 2018 que la ville du détroit cède le palais espagnol à l’Etat marocain pour un dirham symbolique, faute de pouvoir financer la remise en état des locaux. Selon les médias espagnols, il était rapporté que l’Etat marocain cèderait à son tour le palais à l’Espagne ou au village de Vitoria.
Mais depuis, le dossier du devenir du Palais Alava-Esquival est au point mort et les relations entre les villes de Vitoria et Tanger s’en ressentent.