Interview. Zainab Fasiki, première lauréate marocaine à remporter le prix du courage au festival de la BD d’Angoulême

Zainab Fasiki, lauréate du prix du courage, au festival de la bande dessinée d'Angoulême.

Zainab Fasiki, lauréate du prix du courage, au festival de la bande dessinée d'Angoulême. . DR

A 27 ans, Zainab Fasiki, dessinatrice marocaine et féministe aguerrie, s’est illustrée hier, samedi 19 mars 2022, au festival de la bande dessinée d’Angoulême, en France, en remportant le prix pour le courage artistique, décerné chaque année en marge de cet évènement reconnu à l’échelle mondiale.

Le 20/03/2022 à 10h54

Originaire de la médina de Fès, issue d’une famille modeste, cadette et unique fille d’une fratrie de six enfants, Zainab Fasiki dessine les femmes marocaines depuis l’âge de 19 ans et couche sur papier leur nudité assumée, leur puissance, leurs combats au quotidien dans une société qui les maintient sous la chape de plomb de la hshouma et des tabous.

Sa dénonciation du sexisme dans des bandes dessinées et sa promotion de la liberté des femmes à s’habiller et s’exprimer librement constitue une première au Maroc, mais aussi au Festival d’Angoulême où son talent a été reconnu par ses pairs.

Ingénieure de formation, l’auteure en 2019 de Hshouma: corps et sexualité au Maroc, s’est ainsi vu décerner le prix du courage «pour ses mots, son courage et la beauté de son travail», un prix créé en 2016 par les promoteurs du «Off of Off» d'Angoulême, sous le nom de «prix couilles au cul pour le courage artistique», afin de récompenser un auteur défiant la censure, et qui avait été remis lors de la précédente édition en 2020 à l'Algérien Nime (Abdelhamid Amine de son vrai nom), critique du régime condamné à de la prison pour une satire politique dénonçant l'influence des militaires dans le pays. Interview.

Qu’avez-vous ressenti en recevant ce prix?J‘ai ressenti beaucoup de joie… C’est un honneur pour moi de recevoir ce prix à Angoulême, l’endroit le plus inspirant pour le monde de la bande dessinée à l’échelle internationale.

Je suis aussi très honorée d’être la première lauréate marocaine de ce prix. C’est une énorme responsabilité en soi, car je suis ici pour représenter mon pays, la bande dessinée politique mais aussi les femmes marocaines. Je considère ce prix comme une victoire pour toutes les femmes de la région MENA, vivant dans des pays où la liberté d’expression artistique n’est pas toujours valorisée.

Vos bandes dessinées, les thématiques de la nudité et de la sexualité que vous y abordez, vous ont confronté à de nombreux détracteurs au Maroc. Comment vivez-vous la critique?Oui en effet, il y a eu beaucoup d’articles qui critiquaient mon travail, des commentaires désobligeants, des insultes, des menaces de mort aussi… Au début, je ne l’acceptais pas. J’étais encore jeune lorsque j’ai commencé à aborder le sujet de la nudité sur les réseaux sociaux en publiant des dessins politiques. Mais peu à peu, j’ai commencé à développer une forme de résistance à tout cela, et j’ai compris que les insultes faisaient partie intégrante du processus de changement de la société dans lequel je m’inscrivais. Nous vivons dans cette culture de la hshouma, à laquelle je ne m’oppose pas, mais que je tente d’expliquer, de questionner, en m'interrogeant sur le pourquoi de cette culture de la censure patriarcale qui juge les femmes et les entrave dans leur liberté d’expression. C’est une idéologie qui n’a plus sa place au XXIe siècle et que j’essaie de changer à ma manière.

Quelle leçon tirez-vous de votre parcours à la lumière de cette remise de prix?Beaucoup de fierté. Le fait d’avoir grandi dans la médina, dans une famille pauvre, et d’être là aujourd’hui avec tous ces éditeurs et ces bédéistes que je lisais depuis toute petite, c’est énorme. Je rêvais alors de rencontrer toutes ces personnes tout en me disant que c’était impossible. Alors ce prix est une victoire pour moi mais aussi pour chaque femme artiste. Rien n’est impossible si on nourrit ses ambitions, ses rêves et sa créativité, si on travaille dur jour et nuit, peu importe notre classe sociale et l’endroit d’où en vient.

A qui dédiez-vous ce prix aujourd’hui?Tout d’abord à maman… Une femme puissante, qui a mis un terme à sa carrière d’infirmière pour devenir femme au foyer et élever ses six enfants. Je considère son choix comme un sacrifice énorme et c’est la raison pour laquelle mon féminisme respecte aussi les femmes qui choisissent d’élever leurs enfants, de sacrifier leurs vie pour eux. Je dédie aussi ce prix à toutes les femmes marocaines qui se réveillent le matin en se disant: «aujourd’hui, j’ai des rêves à réaliser».

Un dernier mot à l’égard des femmes marocaines qui occupent la place centrale de votre œuvre?Un petit mot ne suffirait pas pour exprimer tout le respect que je nourris à l’égard des femmes marocaines... Ce que je suis en train de réaliser à travers mes bandes dessinées n’est pas destiné qu’à la femme actuelle mais aussi aux prochaines générations. J’espère participer à leur rendre la tâche plus facile, à faire en sorte qu’elles ne souffrent pas comme nous souffrons encore aujourd’hui du manque de libertés individuelles. Je ne veux pas qu’elles perdent du temps avec tout ça, j’aimerais qu’on avance, que notre énergie soit investie dans d’autres sujets car aujourd’hui, au XXIe siècle, nous militons encore pour des droits hyper-basiques.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 20/03/2022 à 10h54