France: les vitraux d’une église dessinés par Tahar Ben Jelloun ont été bénis par l’évêque d’Angers

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Hier, samedi 24 octobre, les vitraux de l’église du Thoureil, réalisés l’année dernière par l’auteur et artiste marocain Tahar Ben Jelloun, ont été bénis. Un symbole fort de communion entre croyances, un appel à l’amour, un geste de fraternité qui mettent du baume au coeur.

Le 01/11/2020 à 15h22

En ces temps troubles où la haine de l’autre semble avoir pris le dessus sur l’humanité et la fraternité, samedi 24 octobre, un rayon de lumière a jailli dans cette obscurité anxiogène.

Les vitraux de l’église du Thoureil, réalisés par Tahar Ben Jelloun il y a près d’un an, ont été bénis par Monseigneur Emmanuel Delmas, évêque d’Angers. Un geste fort qui aurait dû être accompli au printemps dernier, mais qui a dû être reporté, en raison du confinement imposé par la pandémie du Covid-19.

Absent de cette cérémonie, Tahar Ben Jelloun, qui a contracté le virus du Covid-19, a toutefois écrit une lettre à l’attention de l’assemblée présente ce jour-là. Celui-ci y a exprimé «l’honneur et la joie» ressentis lors de cette «belle aventure faite d’amitié et de confiance».

«Mon voeu le plus cher est que cette église qui accueille cette lumière changeante puisse apaiser celles et ceux qui franchissent son seuil», a ainsi écrit l’homme de lettres, soutenu dans ce projet par Jérôme Clément, ancien conseilleur municipal de Thoureil et ancien patron de la chaîne Arte, qui déclarait ce jour-là espérer «que les raisons pour lesquelles nous sommes ici rassemblés constituent un signe que nous devons chacun, à notre échelle, porter un espoir car il ne peut et ne doit jamais s’éteindre».

Un rêve d'enfant devenu réalitéCette invitation à faire communier sous le pinceau de Tahar Ben Jelloun les religions dans une petite église trouve peut-être ses origines dans l’histoire familiale de Jérôme Clément. Lui, né d’un père catholique et d'une mère juive, baptisé catholique, à la demande de ses grands-parents paternels, mais qui n’a découvert qu’en 1996 seulement que ses grands-parents maternels sont morts déportés à Auschwitz.

Pour Jérôme Clément, initiateur de ce beau projet, le choix de Tahar Ben Jelloun était une évidence. «C’était l’homme de la situation» explique-t-il ce jour là. «En regardant ses toiles, en lisant ses poèmes les uns accompagnant les autres parfois, j’eus la certitude qu’il pouvait réaliser une œuvre qui non seulement mettrait de la couleur, de la gaité mais accompagnerait un parcours spirituel (…) mais aussi tous ceux, quelle que soit leur croyance, qui sont convaincus de l’existence de valeurs de tolérance, de lumière et d’amour qui devraient régir les relations entre les hommes».

Ce projet rêvé depuis l’enfance par cet homme de culture sur les bancs de cette même église est «indispensable, et d’autant plus en cette «époque difficile». Aux messages de haine et de division devenus monnaie courante, cette église, de l’avis de Jérôme Clément, représente un «lieu d’accueil. Elle unit dans une recherche spirituelle tous ceux qui pensent que les hommes ont vocation à se retrouver dans la beauté, la lumière et la foi pour les croyants».

Et de poursuivre, «j’espère et je crois que les raisons pour lesquelles nous sommes ici rassemblés constituent un signe que nous devons chacun, à notre échelle, porter un espoir car il ne peut et ne doit jamais s’éteindre».

Pour Tahar Ben Jelloun, «demander à un artiste de culture musulmane de peindre les vitraux d’une église est une démarche peu banale». Celui-ci, dans une lettre lue à l'assistance ce samedi 24 octobre, s’est ainsi dit «surpris et ému par cette demande».

«Pour moi, la question de l’appartenance religieuse ne se posait pas. Mon travail de peintre est en permanence en quête de lumière. Je voulais faire entrer dans ce lieu de paix et de spiritualité un peu de la lumière du ciel en passant par les couleurs qui la transforment» y écrit-il.

La genèse d’un projet unique en son genrePour poser la trame de ce projet, Tahar Ben Jelloun s’est plongé dans la lecture des textes sacrés. «Cela m’a incité à relire le Coran pour savoir ce qu’il dit de Jésus et de Marie», expliquait-t-il alors l’année dernière, lors de l’inauguration des vitraux au sein de l’église du Thoureil.

«Huit sourates en parlent avec déférence, respect et amour. Des versets les présentent comme des modèles exemplaires. L’Islam recommande aux croyants de vénérer et de célébrer les prophètes qui ont précédé Mahomet. Il présente et défend les mêmes valeurs de justice, de vérité et de fraternité que les deux autres religions monothéistes. Selon le Coran, Jésus est un signe pour le monde, annonciateur de vérité, c’est “un esprit émanant de Dieu“», écrivait-il ainsi dans une longue lettre adressée aux habitants du petit village pour leur expliquer ce projet.

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«Mes tentatives de peinture ont choisi de donner à voir la lumière, celle du monde et celle des cœurs. Je n’ai pas d’autre message. Peindre des signes et des formes dansants, osant des couleurs vives et enchantées, voilà ma passion. Dans mes écrits, j’aborde des thèmes dramatiques, l’exil, la solitude, la condition de la femme, l’immigration, tout ce que représente pour moi «la douleur du monde.» 

Et de poursuivre dans sa lettre de présentation adressée aux habitants du village: «dans la peinture, j’essaie l’optimisme, la joie et la danse. J’essaie la lumière qui donne espoir, qui rassure et apaise. C’est dans ce sens que j’ai travaillé les toiles servant de maquettes pour faire les vitraux de cette église».

La symbolique d’une œuvre de paixLes couleurs de ces vitraux rappellent la Loire, «ce grand fleuve apparemment tranquille mais qui a une personnalité étonnante, originale, spirituelle» que Tahar Ben Jelloun dit avoir passé des moments intenses à observer pour mieux en retranscrire «la diversité de ses lueurs, de ses teintes, de ses reflets» passant «d’un bleu étrange à un vert franc» pour «ensuite prendre une teinte sombre.»

Ces vitraux de couleurs «rappelant aussi bien la Loire que la Méditerranée» donneront peut-être à cette église, bien que modeste, «une présence plus vive, plus ouverte», entrevoit-il.

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C’est par ailleurs au prêtre représentant de l’évêché que l’on doit en partie la calligraphie arabe représentées sur les vitraux. En adhérant au projet et lors de sa rencontre avec l’écrivain franco-marocain, celui-ci lui a en effet demandé «de faire entrer cette lumière dans cette demeure de paix (…) et d’écrire quelques mots en lettres arabes, en hébreu et en caractères latins». 

Et la lumière fut!Pour Tahar Ben Jelloun, le symbole que revêt la création de ces vitraux est d’autant plus nécessaire qu’en «ces temps troubles où l’Islam est détourné et associé à une entreprise criminelle, il est important qu’un artiste de culture musulmane puisse inviter la lumière à éclairer les esprits qui entrent dans ce lieu pour prier ou pour méditer».

«Paix et lumière». Tels sont les mots inscrits telle une litanie sur ces vitraux afin de célébrer la spiritualité, d’où qu’elle vienne. Pour Tahar Ben Jelloun, la lumière «nous montre souvent le chemin et nous empêche de nous perdre dans le bruit et l’agitation d’un monde qui oublie ce qu’il y a d’humain pour aller puiser le mensonge dans l’apparence et le factice».

«Puisse cette initiative rendre cette petite église plus grande, plus complice de la Loire qui lui arrive de monter et déposer son eau à sa porte. Des vitraux qui vivent grâce à la lumière qui danse ne peuvent qu’ajouter de l’esprit joyeux à une spiritualité qui rend les gens heureux dans la maison de Dieu» souhaitait-il dans sa lettre de présentation. Mission accomplie, de la plus belle des manières. 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 01/11/2020 à 15h22