«Everybody Loves Touda»: quand Nabil Ayouch raconte la aïta et héroïse ses femmes

Une scène tirée du dernier film de Nabil Ayouch, Everybody Loves Touda, présenté en avant-première à Casablanca, le 9 décembre 2024. (K.Essalak/Le360)

Le 10/12/2024 à 20h20

VidéoUne projection en avant-première réservée à la presse a dévoilé «Everybody Loves Touda», le nouveau film de Nabil Ayouch, au cinéma Pathé Californie à Casablanca. Le360 a rencontré le réalisateur et l’actrice Nisrin Erradi qui joue le premier rôle. Compte-rendu.

Le lundi 9 décembre, la presse marocaine avait rendez-vous dans l’une des salles obscures du multiplexe Pathé Californie, à Casablanca, pour un moment de partage intime avec l’univers artistique de Nabil Ayouch. À cette occasion, le réalisateur marocain a dévoilé «Everybody Loves Touda», son dernier opus, deux jours avant sa sortie en salles. Il était accompagné de l’héroïne du film, Nisrin Erradi, qui campe le personnage de Touda, ainsi que des équipes de production Ali n’ Productions et Concept Mena Group.

Le film met en lumière la aïta, cet art musical ancestral marocain. Nabil Ayouch explore les répercussions sociales de ce savoir-faire traditionnel à travers les multiples combats de Touda, une artiste dont l’ultime ambition est de s’affirmer en tant que chikha. Touda lutte pour réaliser son rêve, mais aussi pour son fils, «sourd-muet, et qui, paradoxalement, est le seul à entendre réellement le chant de Touda», explique Nabil Ayouch dans une déclaration pour Le360.

La scène de l’exorde d’«Everybody Loves Touda» est un prologue brutal où la protagoniste est agressée par des figures masculines enivrés, qui la traquent tout au long du film sous des visages multiples. Elle introduit également le thème central de l’oeuvre. Le personnage de Touda, explique Nabil Ayouch, incarne le combat d’une femme contre des vents contraires, «qui veulent la vieillir, qui veulent la réduire à une femme-objet».

À travers le portrait de Touda, Nabil Ayouch s’attèle à déconstruire la perception sociale négative qui pèse sur les chikhates, souvent stigmatisées comme une ignominie. Son film met en lumière l’hypocrisie d’une société qui, tout en admirant ces femmes, nourrit un plaisir encore plus grand à les dénigrer. Selon lui, ces femmes libres «ont joué un rôle fondamental dans l’histoire du pays depuis qu’elles ont osé, pour la première fois, chanter en public à une époque où c’était réservé aux hommes». Depuis la fin du 19ème siècle, elles incarnent un pan essentiel de la culture marocaine, à la croisée de l’art et de l’émancipation.

Nisrin Erradi, l’actrice principale, s’est imprégnée, pour sa prestation, de l’expérience de réelles chikhates, emblématiques, telles que Khadija El Bidaouia, qui a pu la guider pour adopter le bon geste, la bonne attitude. À l’arrivée, une parfaite maîtrise du personnage complexe, et puissant, de Touda. «Touda m’a habitée toute une année, pendant le tournage et même en dehors. Je ne pouvais pas me défaire d’elle».

«Everybody Loves Touda», dont on ressort ébloui par le jeu magistral de Nisrin Erradi et des autres acteurs, se présente comme une œuvre revendicative visant à réhabiliter un art souvent perçu comme vulgaire et entouré de nombreux malentendus et incompréhensions. La mise en scène symbolique de Nabil Ayouch s’attache à restituer la dignité des chikhates tout en interrogeant la société sur son regard empreint d’une moralité souvent déplacée.

Par le thème poignant qu’il aborde et la profondeur de son propos, ce film ne manquera pas de captiver les cinéphiles et de susciter un débat riche sur les enjeux sociaux et culturels qu’il soulève.

Par Camilia Serraj et Khalid Essalak
Le 10/12/2024 à 20h20