Le lundi 26 août 2024, le Maroc a perdu l’un de ses serviteurs les plus fidèles, le regretté Dr Driss Azzouzi. La disparition de cet éminent esprit est loin d’être une perte anodine pour les siens, pour ses amis ou pour la sphère universitaire dont il était, par ses prolifiques publications, l’un des principaux luminaires. Or, et en vue de souligner ou de rappeler opportunément une lapalissade, le halo de gloire des grands hommes ne s’éteint ni ne se déteint jamais, puisqu’il continue à reluire à partir de l’œuvre réalisée et assumée, ainsi que sur les sillons féconds de la bonne graine semée. N’est-ce pas à la fois exaltant et réconfortant de relever que les éloges funèbres, célébrant la mémoire d’un érudit éminemment digne, et partant hors ligne, auront pris par intermittence des accents hagiographiques? N’est-ce pas gratifiant quand les cohortes d’étudiants, qui ont eu le bonheur de puiser leur science à sa docte source, vous disent sur un ton de reconnaissance teintée d’amertume toute l’étendue du savoir, sur fond d’humilité, du Dr Driss Azzouzi?
Ils ont dû, sous sa bénéfique influence, faire leurs quelques préceptes cultes dont ne faisait guère mystère cet enseignant aussi bien doué que dévoué, comme par exemple: «Le savoir et la science que ne rehausse pas l’oblatif partage sont telle l’eau qui croupit dans un marécage».
Ou bien encore: «Le vrai Maître est celui qui œuvre pour que le tuteur, au sens botanique du terme, dépasse en envergure l’arbre qui l’a soutenu et entretenu dans sa difficile, mais déterminante croissance».
Dûment formé à la bonne école, pour avoir été le disciple studieux, réceptif et éclairé dans le prestigieux cénacle de ténors en matière, entre autres, de théologie, de l’exégèse du Coran, de la science des a-hâdîth, de sciences de la langue, de soufisme et d’histoire, le défunt a brillamment officié à son tour dans des institutions phares telles que l’Université Al Quaraouiyine de Fès, Dar El Hadith El Hassania à Rabat ou encore à la Faculté de la Charia de Fès. La foi chevillée au corps, ce nationaliste de la première heure, dont le cœur scandait les airs fiers et sincères d’un patriotisme exemplaire, a été méritoirement décoré de l’Ordre national du mérite en 1993.
Le Maroc doit, en effet, s’enorgueillir de compter dans son riche et altier giron des personnalités qui ont contribué inlassablement à sa solide construction et à sa remarquable ascension. Notre génération, et celles à venir, sont tenues de savoir gré à ces esprits d’avoir fait œuvre de concepteurs, de bâtisseurs, de formateurs, bref, de chevilles ouvrières, sous la vision sage et lucide de nos augustes Souverains, pour que notre pays ait une place de choix dans le concert des nations.
Ce fin lettré a conquis son lectorat et son auditoire par la beauté de son phrasé enluminé de tournures flamboyantes et par sa curiosité féconde dont il tient un savoir encyclopédique. En somme, c’était un grand Fqih, un Alem (érudit) dont la science était sassée via le pointilleux crible de la conscience.
Les «territoires» de l’Homme ne sont pas seulement physiques ou géographiques. C’est dans des domaines autres, à savoir ceux de l’esprit de l’Homme, que se jouent la paix et, de là, le destin des nations; c’est là que fleurit cet idéal que les bonnes consciences, inquiètes du devenir chaotique du monde, appellent de tous leurs vœux, à savoir la tolérance. Donc, si c’est dans l’esprit et par l’esprit qu’il s’agit de combattre la haine et de juguler le bris menaçant l’unité de la chaîne humaine, pour bâtir des nations pacifiques et/ou pacifiées, alors le regretté Driss Azzouzi, par ses écrits, par ses prêches, par ses conférences, a dressé des remparts contre ce fléau en exhortant à une attitude ouverte à la paix et à la solidarité. À travers l’esprit et la lettre de son message, il a tissé des liens qui rapprochent femmes et hommes dans le maillage et l’alliage des valeurs spirituelles universelles en appelant, sans jamais désarmer, au triomphe d’une humanité généreuse, solidaire, saine et digne.
Ssi Driss Azzouzi a été le maître d’un nombre impressionnant d’étudiants et de cadres supérieurs; plusieurs thèses et travaux ont été réalisés sous sa direction, grâce à ses conseils sensés et ses orientations judicieuses. Que de cours, de séminaires, de conférences, d’articles et d’ouvrages nous lui devons! Quelle vaste palette de sujets il a magistralement traitée! Par cela, le Dr Driss Azzouzi s’inscrit dans la grande tradition arabe qui associe la passion de la recherche au goût de l’enseignement. Tous ceux qui ont eu la chance de bénéficier de ses cours ont gardé le souvenir d’un homme ferré sur ses disciplines de spécialité, rigoureux sur la méthode et exigeant quant à l’utilisation du mot juste; un homme qui avait la communication aisée et qui maîtrisait l’art d’exposer le récit dans sa double dimension: événementielle et référentielle.
Comme l’avait écrit le grand poète sénégalais Amadou Lamine Sall, un grand ami de la famille Azzouzi: «C’est bien la culture qui a fondé le Maroc». C’est la culture qui a donné naissance à des hommes de conviction et de cœur comme feu Driss Azzouzi, lesquels, à leur tour, en ont fait un jardin de l’esprit. Notre quête de paix de l’esprit s’en trouve assouvie et notre cœur s’en trouve nourri, élevé et protégé des impitoyables rets du matériel et de l’ignorance.
Le nom du Dr Driss Azzouzi, l’universitaire, le Fkih, le Alem, le pédagogue, le conférencier, a acquis une autorité et une notoriété d’une insoupçonnable portée. Sa science et sa générosité intellectuelle lui ont servi de «lettre de créance» pour qu’il professe la bonne parole dans de prestigieux forums, parmi de brillants aréopages de savants à travers le monde.
Le regretté Driss Azzouzi, théoricien reconnu, enseignait tout ce qui se rapporte au rite malékite. Il défendait l’idée que le rite malékite suivi au Maroc n’est pas une simple méthodologie juridico-religieuse reposant sur des «fondements» (manhajiyya usûliyya), aux fins de déduction et d’argumentation en matière de fiqh, ni un ensemble de normes juridico-religieuses (ahkâm) énoncées par Mâlik ibn Anas puis reconduites et suivies par les ouléma par la suite, après avoir été déduites d’une manière nouvelle (mukharrijîn ‘alayha wa mujaddidîn). Il est plus que cela: il constitue un patrimoine civilisationnel, et social, une identité religieuse, une force unifiante (sur les plans psychologique, sociologique, politique). Dr Driss Azzouzi était parmi ceux qui défendaient et incarnaient l’idée qu’au Maroc, le rite malékite est un patrimoine (thaqâfa) social. Il résulte des interactions entre le fiqh et l’espace religieux. Il a largement contribué à la constitution, chez le citoyen, d’une personnalité sociale incluant la dimension religieuse, et conféré une spécificité culturelle à la nation marocaine.
En aiguilleur visionnaire et inspiré, il a mis sur orbite ses enfants, mais sans jamais transiger, pour leur éducation, avec le socle des valeurs dont participent les principes fondamentaux et fondateurs de notre marocanité, de notre amour pour la patrie, du culte de l’unité dans la diversité, de l’esprit de compréhension, de tolérance…
Ce père, qui se refusait par conviction à incarner le modèle éducatif par trop coercitif et punitif du pater familias pour ses quatre fils, privilégiait plutôt dialogue et pédagogie. Aussi les a-t-ils forgés à son image et, grâce à Dieu, ils ne se sont pas fait faute de bien le lui rendre en réussissant chacun dans leur parcours universitaire et professionnel:
- Dr Abdelhak Azzouzi: professeur des universités, président de la Chaire Alliance des civilisations, membre fondateur et membre du conseil d’administration de l’Université Euromed de Fès.
- Dr Hassan Azzouzi, professeur des universités, président du Conseil régional des ouléma de la région Fès-Boulemane.
- Fouad Azzouzi, magistrat au tribunal administratif de Fès.
- Mohamed Azzouzi, magistrat au tribunal de commerce de Fès.
Pour conclure ce témoignage sommaire, on ne peut qu’emprunter cette citation à Victor Hugo déplorant, dans un savant jeu d’équilibre à la fois poétique et philosophique, la mort de George Sand, pour l’appliquer en hommage à la mémoire de feu Dr Driss Azzouz: «Je pleure un mort, je célèbre un immortel!»
Puisse le Tout-Puissant couvrir de Son infinie Miséricorde, dans la sublime vastitude de Ses célestes jardins, le savant, le patriote et l’humaniste qu’aura été de son vivant le défunt.