«Contes et légendes populaires du Maroc», publié pour la première fois en 1926, est un ouvrage fascinant qui plonge dans les traditions orales du Maroc du 19ème siècle. Cette opportune réédition aujourd’hui par les Éditions du Sirocco regroupe les 93 histoires originales recueillies jadis par la doctoresse Françoise Légey auprès des conteurs de Jemaa El Fna à Marrakech. Des contes populaires oubliés de nos jours, qui ont bercé autrefois nos arrière-grands-parents. Le livre est divisé en plusieurs sections thématiques, allant des contes sur les djinns et les esprits aux histoires de beaux sultans, de glorieux chevaliers maures et de héros marocains, en passant par les animaux fantastiques mêlant le merveilleux et le quotidien.
Dans de nombreux contes, les djinns jouent un rôle central. Ces créatures surnaturelles sont souvent présentées comme des esprits capricieux pouvant aussi bien aider les humains que leur nuire. Ces contes véhiculent souvent des leçons de vie sur l’importance de ne pas céder à l’ambition ou à l’avidité. «Histoire du pèlerin, de ses sept filles, de la bonne afrita et du fils du sultan» parle d’un père qui «vivait heureux chez lui et qui avait sept filles», et décide un beau jour de les laisser seules et de «partir pour son pèlerinage de la Mecque» (p.17). Ce jeune père de famille encore vigoureux a pourtant un secret: chaque soir, une afrita (djinn femelle) qui a l’apparence d’une chatte noire, belle et voluptueuse, lui rend visite dans sa chambre, «abandonnait sa robe de chatte et se muait en la plus adorable» (p.17) des maîtresses. Il part donc, non sans avoir chargé son amante jeniya de veiller discrètement sur ses sept filles. Plus tard, le fils d’un sultan entre en scène, et son destin se mêle à celui des filles du pèlerin, avec l’inévitable touche de magie, de péripéties et de mystères caractéristiques des contes. Pour notre pèlerin, ce voyage se révèlera une quête de spiritualité et de rédemption.
Dans «Le fils du commerçant qui devint roi», un héros humble, de basse condition, doit prouver sa valeur par ses actions plutôt que par sa naissance. Dans de nombreux contes, ce type de personnage incarne l’idée que la noblesse de cœur et l’ingéniosité peuvent surpasser l’héritage ou les privilèges de la naissance. Ainsi ce commerçant qui dit un jour à sa femme: «Notre fils est grand; je vais l’initier à mes affaires, car la mort et la vie sont dans ce monde» (p.73). Et il prépara ses marchandises et emmena son fils en voyage. Le chemin du fils du commerçant est parsemé d’épreuves. Chaque obstacle symbolise une étape de sa maturation et de son apprentissage. L’ascension sociale n’est jamais facile, mais elle est méritée à la fin. En route, une prophétie sur son fils doit s’accomplir. Le fils est appelé à devenir un monarque puissant tandis que lui, son père, va se convertir en mendiant: «Et bien, ils (les oiseaux de la prophétie) m’annonçaient que je serais roi un jour et que toi tu deviendrais mendiant, et que tu serais amené à me demander l’aumône» (p.73), dit le fils. Le soir, par crainte de voir cette terrible prophétie se réaliser, le père va «enfermer son fils dans un coffre, et aller jeter le coffre à la mer» (p.74). La suite du conte est à découvrir. Le suspense est assuré…
Dans «Le lion et le mulet», un lion, symbole de puissance et de royauté, se retrouve en compétition avec un mulet, animal souvent perçu comme insignifiant. Le lion, en raison de sa force et de sa stature, se considère comme un être supérieur et méprise le mulet. Avec l’aide de son ami le Chacal, le félin va terroriser les animaux de la forêt et les pousser à un jeu où le perdant final doit servir de repas au roi de la forêt. Il y a là le serpent, le mouton, le renard, le coq, etc. Cependant, le mulet, avec sa ruse et son intelligence, parvient à déjouer les plans du lion et à prouver que la force brute n’est pas toujours synonyme de victoire. «Il ne restait plus que le mulet. Celui-ci pensait: “C’est moi qu’ils veulent manger, car je ne puis dire que je suis mulet fils de mulet. Mais je vais leur jouer un tour à ma façon”» (p.253). Cette opposition souligne l’idée que la force n’est pas toujours la meilleure qualité et que l’intelligence peut triompher dans des situations difficiles. Cela rappelle aussi que ceux qui se croient invincibles peuvent être surpris par ceux qu’ils considèrent comme inférieurs.
Dans «Sidi Bel Abbés et les quatre voleurs», le récit populaire mêle éléments de la culture maghrébine et motifs universels. Là aussi, le conte met en avant l’importance de la ruse et de l’intelligence. Sidi Bel Abbés est présenté comme un héros sage et astucieux. «Un jour, quatre voleurs qui ne trouvaient plus à gagner leur vie à Marrakech, parce qu’ils y étaient trop connus, décidèrent de partir dans les campagnes exploiter la crédulité des paysans» (p.301). Les quatre malfrats vont chercher à duper les habitants d’un village et leur cheikh, manigançant des actions nocturnes mystérieuses et fantastiques pour convaincre les plus rationnels. Le héros, Sidi Bel Abbés, saura utiliser son intelligence pour résoudre les dilemmes, ce qui le rend sympathique et admirable. Comme dans de nombreux contes, il y a une dimension morale qui se dégage de l’histoire. Les voleurs, en tant que figures négatives, sont punis pour leurs actes malveillants, tandis que les personnages vertueux, comme Sidi Bel Abbés, sont récompensés. Les relations entre les habitants du village montrent l’importance de la solidarité. Les protagonistes s’entraident pour surmonter les obstacles dans cette histoire.
En 368 pages, «Contes et légendes populaires du Maroc» développe un imaginaire populaire ancestral et une prose poétique descriptive qui invitent le lecteur à plonger dans l’univers des contes. Les récits de Françoise Légey intègrent des éléments de la culture orale marocaine, adaptés pour le public occidental de l’époque. L’auteure utilise souvent une langue riche, descriptive, et fait un usage prononcé des archétypes que l’on trouve dans les contes orientaux et maghrébins. La structure, classique, devrait plaire au plus grand nombre, avec une introduction qui présente les personnages, un développement qui expose le conflit et une conclusion qui délivre la morale. Cette structure permet de transmettre efficacement le message tout en maintenant l’intérêt du lecteur.
L’originalité de l’ouvrage provient aussi des sources authentiques où Françoise Légey, qui a vécu 25 ans au Maroc, a collecté les contes: la place Jamaa El-Fna, auprès des conteurs qui ont pratiquement disparu aujourd’hui, emportant avec eux notre mémoire littéraire marocaine. «Contes et légendes populaires du Maroc» est toujours étudié dans les cercles académiques et reste perçu comme une porte d’entrée vers la compréhension de l’imaginaire littéraire du Maroc d’autrefois.
«Contes et légendes populaires du Maroc», 368 pages. Éditions du Sirocco, 2024. Prix public: 130 DH.