Un roi, trompé par son épouse, décide de se venger de la gent féminine, et de tuer chaque matin la compagne, toujours renouvelée, de ses nuits. Le royaume est en émoi. Une jeune fille de bonne famille, rusée comme personne, Shahrâzâd, tente le tout pour le tout. Elle raconte au roi de passionnantes histoires, et elle s’arrange pour que l’apparition de l’aube ne coïncide jamais avec la fin d’un récit. Ainsi, la curiosité du roi est tenue en haleine. Au bout de mille et une nuits, Shahrâzâd se voit reconnaître comme épouse légitime, mère et reine.
L’intrigue des «Mille et une nuits» est célèbre. Elle est prétexte à un récit à tiroirs où des centaines d’histoires se chevauchent, se complètent, se succèdent. Les origines du livre remontent à l’époque abbasside, au siècle d’or de Bagdad sous les règnes de sultans éclairés tels Harôun al-Rachid (765-809) et son fils al-Ma’mûn, dans une compilation appelée au 10ème siècle «Hazar afsāneh» (Mille histoires), même si à l’époque il y en avait moins de cinq cents. Le nombre mille était un indicateur d’une grande quantité plutôt qu’un décompte exact et, au fil du temps, ce nombre a varié de quelques centaines à plus d’un millier. Ces histoires différaient grandement par leur style et provenance, avec des contes et légendes arabes, perses, indiens, chinois et égyptiens. Les historiens pensent aujourd’hui que les marins des navires de la mer Rouge qui sillonnaient l’Asie ont largement aidé à colporter les récits de cette œuvre qui mérite le qualificatif d’universelle. Une collection qui s’est enrichie des apports de différents peuples. Même l’histoire de Shahriar et Shahrâzâd, qui sert de cadre à toutes les autres, était à l’origine un récit singulier que le premier auteur de la compilation a choisi comme récit principal.
Les premières versions considérées comme canoniques en Occident ont été publiées au 18ème siècle et contenaient environ 200 histoires. En 1717, l’archéologue français Antoine Galland traduisit une version arabe pour le roi Louis 14, et y inclut quelques histoires externes comme celles d’Aladdin et d’Ali Baba, qu’il intégra dans le récit général de l’histoire parce qu’il les trouvait attrayantes. Dans les années 1820, une version longue en douze volumes fut publiée en Prusse, la plus complète qui ait jamais vu le jour et qui fait véritablement honneur au titre des «Mille et une nuits».
Un succès immédiat
«Les Mille et une nuits» connurent un grand succès auprès du public en Occident où l’orientalisme suscita rapidement l’intérêt des élites cultivées. Cependant, à de nombreuses reprises, les ciseaux de l’imprimeur ont modifié ou éliminé de nombreux passages ou des histoires entières, estimant qu’ils n’étaient pas exemplaires en termes de langage et de contenu, mettant en exergue des infidélités, des tortures et des scènes de violence. Ce livre millénaire contient plusieurs nouvelles érotiques qui furent longtemps supprimées des éditions au fil des siècles. Le coffret de la Pléiade les a réhabilitées. Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel ont tenu à garder la version intégrale et l’ensemble des récits. Leur nouvelle traduction est également à saluer, car plus précise, plus juste dans cette édition de qualité.
Parmi la multitude d’histoires et de légendes, les plus populaires et celles qui ont perduré dans l’imaginaire collectif sont justement les récits qui ne faisaient pas partie de la compilation à l’origine: «Ali Baba et les quarante voleurs» est un conte d’origine syrienne, l’original «Aladdin et la lampe merveilleuse» se déroule dans l’ouest de la Chine et «Les aventures de Sinbad» combinent des éléments de «L’Odyssée» grecque d’Homère avec l’histoire du marin naufragé, qui vient de l’ancien empire d’Égypte.
On lira avec plaisir «L’histoire de Qamar az-Zamân», «Le mariage d’al-Ma’mûn», «L’histoire de l’envieux et de l’envié» ou «Le marchand et le démon».
«Les Mille et une nuits» demeurent l’une des grandes œuvres de la littérature universelle. L’ouvrage fut longtemps destiné à l’éducation des princes et de la cour, avant de se répandre dans toutes les langues en quelques décennies dans le monde au 19ème siècle. Dans l’éloge qui ouvre le livre, il est dit: «Que les légendes des anciens soient une leçon pour les modernes, afin que l’homme puisse apprendre des événements qui arrivent à d’autres que lui. Ensuite, il respectera et comparera soigneusement les paroles des peuples passés et ce qui lui arrive et se réprimera. Pour cette raison, gloire à celui qui garde les histoires des premiers comme une leçon dédiée aux seconds!»
Trois cents ans après la version de Galland qui domina les éditions successives de ce livre-phénomène, Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel proposent une traduction nouvelle pour la Pléiade appelée à faire date. Elle compte trois volumes et en est à sa troisième édition. Intégrale, elle n’est pas censurée incluant les récits longtemps cachés par la bienséance. Cette réédition n’est pas quelconque. Lire un chef-d’œuvre littéraire dans la Pléiade, et posséder cette prestigieuse collection dans la bibliothèque de son salon, double le plaisir des lecteurs passionnés. Mais l’essentiel est aussi ailleurs: la Pléiade est connue pour les notes de bas de page de ses éditions, réalisées par les plus grands spécialistes, permettant des entrées aux œuvres plus riches et interactives.
Coffret «Les Mille et une nuits I, II, III» (3 volumes vendus ensemble). Éditions la Pléiade, 2024. Prix public: 201 € (2.147 DH).