Plusieurs intellectuels arabes ont foulé les allées du Salon International de l’édition et du livre (SIEL) à Rabat. Adonis, Ali Ahmed Saïd de son vrai nom, en fait partie. Cet écrivain et poète syro-libanais, qui vit et travaille en France, y a présenté son recueil «Ainsi parle Adoniada», réalisé en collaboration avec l’artiste peintre Ahmed Jarid. «J’ai apprécié cette collaboration, car je me suis toujours dit que l’artiste arabe doit sortir des frontières qui ont été dessinées par la Renaissance», confie Adonis dans un entretien avec Le360.
L’auteur de «Toucher la lumière» (1997) et de «Prends-moi Chaos dans tes bras» (2015) publie des recueils de poèmes qui sont souvent accompagnés de dessins ou de gravures d’artistes. Une expérience presque artisanale qu’il réédite à chaque fois qu’il en a l’occasion tout en imposant ses points de vue et ses opinions qui sont souvent mal interprétés. Donner au mot une portée plastique, pour tisser un lien entre la vue et la conscience spirituelle, se trouve au centre des préoccupations artistiques et littéraires d’Adonis.
Aujourd’hui considéré comme étant l’un des plus grands poètes arabes vivants, surtout après la disparition en 2008 de Mahmoud Darwich, Adonis est un artiste influent. En tant que critique contemplateur tel qu’il aime à se définir lui-même, il opère une sorte de réévaluation critique de la tradition poétique arabe vis-à-vis des pressions intellectuelles et religieuses du monde arabe actuel.
À ce propos, il dira dans cette rencontre avec Le360 que le problème n’est pas la religion, mais plutôt la manière dont elle est interprétée et comprise. «Le problème de l’islam, c’est qu’il est devenu pour beaucoup une sorte de capital politique et social. Il faut absolument sortir de l’institution religieuse», décrypte Adonis, avant de poursuivre sur un ton affirmatif, et sans concession: «Je respecte la religion. C’est un droit parmi les droits de l’homme. Mais il n’y a pas pires destructeurs de l’islam que les musulmans eux-mêmes».
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Pour Adonis, une chose est claire. La société arabe n’est pas moderne pour la simple et unique raison que les Arabes ne sont pas libres à cause de la mauvaise interprétation du fait religieux. «La poésie arabe n’est pas moderne. La modernité c’est d’abord une liberté et s’il n’y a pas de liberté il n’y a plus rien».
«Construire une pensée moderniste»
L’auteur de «Mémoires du vent» considère, à sa grande consternation, que le monde arabe cantonne la religion dans le fiqh, alors que la relation à l’autre doit être selon lui basée sur la justice et non pas sur la religion. «Comment construire une pensée moderniste si nos sociétés ne sont pas libres?», s’interroge-t-il.
Et c’est cette même absence de liberté qui fait, selon Adonis, que les Arabes restent des suiveurs. «Alors même que les Arabes ont été précurseurs dans plusieurs domaines, et l’histoire est là pour en témoigner, notre éducation religieuse fait que nous avons construit une structure de pensée de suiveurs». Une situation qui, selon Adonis, n’a pas de sens puisque, «au lieu de s’inspirer de ce qui n’est pas à nous, il suffirait tout simplement que le monde arabe n’abandonne pas ce qui lui appartient pour créer de la valeur patrimoniale», conclut-il.