Il y a quelques jours, dans le podcast «Rothen s'enflamme», diffusé sur la chaîne française RMC Sport, le chroniqueur et humoriste Julien Cazarre s’est permis de traiter Achraf Hakimi de chien, en l’occurrence le toutou de Kylian Mbappé, et de le tourner en dérision.
Comme cela était prévisible, la chronique a provoqué un tollé car nombreux sont ceux qui ont été heurtés par cet «humour» qui se caractérise par une méchanceté gratuite. Et comme cela était tout aussi prévisible, a été brandi en retour l’étendard de la liberté d’expression qui ne saurait souffrir les entraves imposées par ceux qui n’ont pas d’humour.
Ce débat-là est sans fin et ne trouvera fort probablement aucun compromis entre les deux camps. Ce qui nous intéresse davantage, ce sont les messages que l’on tente de faire passer sous couvert d’humour ainsi que leur timing douteux.
Car là où certains admirent la force de l’amitié qui unit les deux joueurs du PSG, d’autres, comme le chroniqueur en question, y voient une relation de soumission, en l’occurrence celle de Hakimi à Mbappé, comme si le statut de star de ce dernier impliquait sa supériorité sur tous les autres, y compris dans sa vie privée.
Cette façon de voir les choses n’est pas propre à ce chroniqueur et elle s’est d’ailleurs clairement exprimée dans la presse française qui s’est concentrée à l’unanimité sur l’accueil de héros reçu par Mbappé lors du match des Nets à New York. Pourtant, Achrak Hakimi a eu droit au même accueil de star ce jour-là, mais ça, cette même presse ne l’a pas relayé.
Le fait que cet humoriste choisisse pour cible Hakimi n’est donc pas un acte isolé, c’est le reflet d’un traitement médiatique qui a choisi de conférer le rôle de second à un homme qui a brillé tout au long de son parcours footballistique.
Vient ensuite la question du timing, mais aussi celle de la responsabilité qui incombe à la presse. Dans une France où la question identitaire est en train de provoquer une fracture sociétale profonde, où les célébrations de la Coupe du monde ont donné lieu à actes de violence perpétrés par des factions d’extrême-droite à l’encontre des supporters du Maroc, où les musulmans et les étrangers sont taxés sans vergogne de délinquants qu’il faut chasser du pays et où on oppose désormais, dans la normalité la plus totale, les Français de souche aux autres, est-il vraiment si innocent de choisir de rire d’un homme qui incarne précisément ce que rejette cette France où les discours d’extrême-droite ont été vulgarisés et banalisés?
Le traitement qui a été fait d’Achraf Hakimi dans cette chronique s’apparente davantage à de l’humiliation en règle qu’à de l’humour. Peut-on rire de tout? N’en déplaise aux défenseurs de la sacralité de la liberté d’expression, la réponse est non. Pas comme ça, pas maintenant, pas quand des millions de personnes sont stigmatisées pour leur appartenance à une religion ou à une culture étrangère.
Qu’on soit humoriste, chroniqueur ou journaliste, la large audience que confèrent ces métiers implique un tant soit peu de sens des responsabilités afin de ne pas heurter davantage la sensibilité d’une communauté déjà trop malmenée. A moins que le but final ne soit de devenir le martyr d’une cause, celle de la liberté d’expression attaquée, et de stigmatiser davantage les autres, en leur collant de facto l’étiquette d’obscurantistes sans humour qui tentent de porter atteinte aux valeurs de la République.