Il y a quelques jours, à la veille des élections, Si Benkirane, vêtu de sa plus belle gandoura blanche, lâchait la plume avec laquelle il a pris la fâcheuse habitude de griffonner sa rage sur un bout de papier et un coin de nappe en plastique pour déverser cette même rage, cette fois-ci en vidéo.
L’objet de son courroux: notre nouveau chef de gouvernement, Aziz Akhannouch. «Vendez-vous de la confiture Aïcha Si Aziz?», l’interpellait-il avec morgue et dédain, de son petit sourire en coin, critiquant très ouvertement –et faisant fi au passage du mensonge et de la calomnie– un diner organisé en 2019 entre le président du RNI qu’il était alors et les artistes. Aux yeux de cet homme pétri de religiosité et de pseudo valeurs politiques, il était évident que les artistes conviés à ce diner pour faire un état des lieux du monde des arts et de la culture étaient des vendus, des saltimbanques payés pour parader devant les photographes, des misérables qui se vendent au plus offrant, des marionnettes de publicitaires, capables de renier l’art pour vendre de la confiture, Aïcha de surcroit. Si encore c’était de la Bonne Maman…
Hada Jehdi 3likoum Al Mgharba nous interpellait-il, nous encourageant à aller voter pour bouter hors de l’espace politique son rival, cet «homme sans valeurs, ni programme, ni idéologie, si ce n’est son argent». Manquait plus que les fameuses larmes de crocodiles qu’il dénonçait il y a quelques années encore du haut de son poste de chef de gouvernement, si peu mérité.
Fort heureusement pour nous, les Mgharba avec lesquels Si Benkirane pensait dur comme fer entretenir une relation de complicité pétrie de populisme et de valeurs à deux balles, le 8 septembre a sonné le glas de dix très très très longues années de grand n’importe quoi. Dix interminables années de nivellement par le bas, nourries de discours puants de mesquinerie et de démagogie. Une décennie d’humiliations à l’échelle internationale avec des ministres incapables de représenter dignement leur pays d’un point de vue politique, intellectuel, linguistique et vestimentaire (oui, oui, le dress code politique du chef de gouvernement et de son épouse comptent énormément lorsqu’ils participent à des évènements officiels). Une décade de perdue pour mieux revenir en arrière s’agissant des droits des femmes, et en règle générale, des droits de l’homme, notamment celui d’exister selon le principe des libertés individuelles.
Nous en avons bavé, enragé, pleuré, de vous écouter, vous regarder, piétiner avec tant de férocité nos acquis et nos droits, si chèrement gagnés. Mais in fine, le karma, Dieu, le destin, l’univers –chacun sera libre de l’appeler comme il voudra maintenant– a scellé votre sort. Le PJD est retourné d’où il venait, c'est-à-dire nulle part, avec tous ceux qui ont été désavoués par ceux-là mêmes qui les avaient portés au pouvoir.
Ironie de la chose, ce même parti dont le chef traitait il y a quelques années les femmes de triates (luminaires), juste bonnes à rester chez elles, pour procréer et satisfaire les besoins de la gente masculine, est aujourd’hui représenté principalement au Parlement par des femmes de son parti (neuf sur treize). Permettez-nous de nous foutre ouvertement de vos gueules, mais avec une pensée particulière tout de même pour ces femmes ministres pjidéistes qui étaient censées représenter la cause féminine et qui ont fait plus de tort que jamais à cette même cause. Bassima, spéciale dédicace pour toi ma sœur.
Aujourd’hui que vous quittez la scène politique la barbe entre les jambes, on a aussi une pensée émue –façon de parler bien sûr– pour tous ces hommes et ces femmes politiques de votre bord qui prêchaient la foi et les mœurs hallal sous les spotlights des médias pour mieux faire «zoom zoom zen», à l’arrière de «Benz Benz Benz» (NTM ne connaît décidément pas de frontières) ou mieux se dévoiler à Paris, capitale de l’amour, et mieux encore devant le Moulin Rouge, temple sacré du French Cancan. On aura tout vu, et des exemples, des énormités, on en a à la pelle… Et Dieu sait qu’on en a ragé à mettre en lumière vos incohérences et vos mensonges.
Alors oui, aujourd’hui, mon Dieu– oui encore lui car en vous perdant on s’en rapproche davantage– comme nous sommes soulagés et fiers de ne plus être représentés par vous et de voir se profiler, enfin, ce Maroc que nous attendions tant. Celui de la modernité, de l’ouverture d’esprit, des lumières… Bien sûr, nous n’allons pas non plus vous accabler et vous rendre responsables de tous les maux du Maroc. Ce serait vous donner encore trop de pouvoir et d’importance. Nous n’étions pas parfaits, loin de là. Et nous savons bien que la route sera encore longue pour atteindre le niveau auquel nous aspirons tous, tant d’un point de vue social, qu’économique et politique. Nous savons pertinemment que les nouveaux élus ne sont pas pour autant nos messies– quoiqu’on peut toujours rêver– mais ce renouveau nous redonne espoir... Quelque chose de précieux que vous étiez presque parvenus à tuer, vous qui avez pourtant bourgeonné à la saison du printemps arabe.