Johnny Depp et les Marocains victimes de violences

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ChroniqueAu Maroc, combien d’hommes ont-ils fini derrière les barreaux pour avoir refusé d’épouser leur prétendue victime? Combien de jeunes filles ont-elles menti à leur entourage préférant se faire passer pour des victimes de viol et condamner leur amoureux à la prison?

Le 05/06/2022 à 11h29

Au Maroc aussi, le procès qui a opposé Johnny Depp à son ex-femme Amber Heard a été très suivi. Du jamais vu. Depuis l’affaire O.J. Simpson, c’est en effet la première fois que le monde entier se passionne pour un procès de ce genre. Diffamation, détails scabreux, violence, passion, haine, alcool et drogues… Pendant six semaines, les avocats des deux acteurs ont levé un pan sur l’ancienne vie maritale, somme toute torturée, de leurs clients respectifs pour aboutir à la victoire quasi-incontestée de Johnny Depp.

Dans le monde entier, la team Johnny a crié victoire, célébrant le triomphe de la vérité sur le mensonge, de la justice sur la trahison et en l’occurrence du mari sur sa femme. Avec la défaite cuisante d’Amber Heard, c’est tout le mouvement #metoo dont elle se revendiquait porte-étendard qui en prend un sacré coup et avec lui, les véritables victimes de violences conjugales.

En mentant délibérément sur des pseudo-violences subies, l’actrice américaine brise ainsi le cliché de la femme victime et dévoile, bien malgré elle, une facette qu’on se serait bien gardés de voir: les femmes aussi peuvent être violentes. C’est un sujet dont on ne parle pas assez souvent mais qui mérite pourtant qu’on fasse la lumière dessus et Johnny Depp en acceptant et en assumant de porter le costard de l’homme battu et violenté ouvre la voie à d’autres.

Les chiffres étant ce qu’ils sont, les femmes sont bien entendu les principales victimes de violences physiques mais n’oublions pas que l’inverse existe aussi, et le Maroc n’y fait pas défaut. Ainsi dans notre pays où il fait bon prouver une masculinité et une virilité à toute épreuve, ils sont 42% à avoir subi au moins un acte de violence selon des chiffres avancés par le Haut commissariat au plan (HCP) en 2021.

Pour venir en aide à ces hommes qui souffrent d’être passés à tabac par leurs femmes, victimes d’humiliation, d’actes de sorcellerie, de chantage économique et sexuel, l’Association de défense des maris victimes de violences conjugales tente de faire entendre leur voix. Une voix qui se mure pourtant dans le silence la plupart du temps de peur du ridicule et des tabous qui conditionnent leur masculinité.

Mais si la loi n°1°3-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes permet pourtant aussi, malgré ce que laisse à penser son appellation, aux hommes de se défendre et d’exercer leurs droits de victimes dans le cadre de violences conjugales, d’autres lois sont de véritables fléaux pour les hommes victimes de femmes manipulatrices.

A titre d’exemple, jusqu’en 2014, année marquée par le suicide d’Amina Filali mariée de force à son violeur, l’article 475 du code pénal proposait un choix pour le moins atroce à la victime. Le violeur pouvait ainsi être absous de son crime s’il épousait sa victime. Mais depuis, cette loi a été amendée, n’offrant plus qu’une seule possibilité: la prison pour le violeur.

C’est là qu’intervient la notion de consentement qui chez nous au Maroc est une notion secondaire, et pour cause, comment parler de consentement quand le sexe hors mariage est interdit. Cette problématique qui consiste à asseoir la femme dans le rôle de la victime et l’homme dans celui du violeur est un véritable casse-tête quand on est parents d’un garçon.

Et pour cause, l’article 490 qui expédie en prison ceux qui pratiquent le sexe hors mariage fait d’innombrables victimes du côté des femmes mais aussi du côté des hommes bien qu’on en parle moins. Car pour peu qu’un couple pratiquant des relations sexuelles consenties (bien qu’hors-la-loi) se fait surprendre en pleine action, la femme peut alors crier au viol et prétendre à un rapport forcé pour échapper à la prison.

Combien d’hommes ont-ils fini derrière les barreaux pour avoir refusé d’épouser leur prétendue victime? Combien de jeunes filles ont-elles menti à leur entourage préférant se faire passer pour des victimes de viol et condamner leur amoureux à la prison? Imaginez un peu la cruauté de ce dilemme. Œil pour œil, dent pour dent.

On sait très bien qu’il faut que jeunesse se passe mais dans cette société dans laquelle on vit, pétrie de complexités et d’hypocrisie, ce que l’on interdit à la fille, on le consent au garçon. On refuse l’idée qu’une fille puisse avoir des relations sexuelles avant son mariage mais on s’inquiète du fait que son fils n’en ait pas. Et pour peu qu’on ne soit pas un modèle familial où le sexe est un sujet tabou dont on ne parle pas pour des questions religieuses et culturelles, on est bien obligés de prévenir nos garçons.

Alors comment aborder le sujet de la sexualité avec votre fils quand il flirte avec l’âge de la puberté et les désirs qui vont avec? Comment l’aider à faire son éducation sentimentale et sexuelle de façon épanouissante quand on sait ce qu’impliquent les interdits de la loi? Comment lui apprendre cette sacro-sainte notion de consentement ô combien importante, lui faire bien prendre conscience que quand une femme dit «non» c’est «non» et pas un «oui» déguisé, quand le sujet de la sexualité est complètement biaisé au Maroc?

A peine apparus leurs premiers poils au menton et leurs premiers émois, ils basculent de l’enfance dans un monde où leur sexualité peut les emmener directement à la case prison et être taxés de surcroit de violeurs. Alors que faire, que leur dire, comment les prévenir sans les faire paniquer?

Il est grand temps que ces lois liberticides qui conditionnent la vie privée et intime des individus ne soient plus soumises à une lecture religieuse. Celle-ci, sous couvert de faire régner la vertu et proliférer les bonnes mœurs, ne fait qu’entraîner dans son sillage nombre de violences et d’inégalités qui n’ont plus lieu d’être, tant du côté des femmes que des hommes. En parler, tenter de faire changer les choses n’est pas une perversion de l’esprit ni une tentative d’occidentaliser nos mœurs musulmanes mais un débat nécessaire pour poser les fondements d’une société saine, sans secrets inavouables, mensonges et faux-semblants. 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 05/06/2022 à 11h29