Fatiha «l’influenchieuse» et la liberté d’expression

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ChroniqueDans le cas de Fatiha, mais de bien d’autres influenceurs aussi, la liberté d’expression a «trop» bon dos. Si on peut s’avancer à dire qu’à la décharge de Fatiha, elle a fait devant tout le monde ce que d’autres maquillent à coups de contenu bidons, autrement dit de la merde, sa défense s’arrête là.

Le 30/10/2022 à 12h48

Les réseaux sociaux au Maroc, c’est un monde à part. Un univers fantasque, où le burlesque croise la route de l’improbable, où la hchouma côtoie allègrement la vulgarité, un cocktail explosif qui envoie valser la chape de plomb qui masque tant bien que mal, dans la vraie vie, les interdits.

De l’observation des préoccupations, des intérêts, des délires des Marocains à travers le prisme de TikTok, Snapshat, Instagram et YouTube résultent une gêne et une tristesse profonde. Loin de l’univers ultra-maquillé et fake des instagrameuses, les influenceurs de la vie réelle et le contenu qu’ils publient sont à eux seuls un signal d’alerte à ne pas ignorer. Notre société va mal et son nivellement par le bas a atteint un stade très avancé.

Dernier exemple en date des dérives auxquelles on se livre maintenant sur ces plateformes de contenus, celui de Fatiha, la youtubeuse spécialiste du programme Routini El Yamwi. Elle qui filme son quotidien, chez elle, accompagnée de son mari, a franchi un pas de plus dans le gore en allant jusqu’à se filmer en train de faire la grosse commission avant d’exposer le fruit de ses entrailles –sa merde, quoi– à ses followers. En effet, le sujet du jour de sa vidéo était relatif à son inquiétude à propos de la texture et des couleurs diverses et variées de son caca. Et pour mieux illustrer ses propos, Fatiha s’est donc livrée à une démonstration filmée… Est-ce une mauvaise blague? Malheureusement non. Nous en sommes bien arrivés là.

Copieusement signalée par les utilisateurs de la plateforme, cette vidéo a valu à la youtubeuse et à son mari, d’être arrêtés le 7 octobre et poursuivis pour «diffusion et promotion de contenus numériques portant atteinte aux mœurs et à la morale publique». Le couple a écopé de deux ans de prison ferme et 500 dirhams d’amende pour «atteinte publique à la pudeur, mauvais exemples pour leurs enfants et incitation à commettre un délit». Ce verdit a suscité beaucoup de réactions sur la Toile et si une partie de la société juge que la sentence est bien méritée, d’autres dénoncent une atteinte à la liberté d’expression.

Alors faut-il laisser tout le monde s’exprimer librement sur les réseaux sociaux au point de pouvoir y dire et y faire des choses interdites dans la vraie vie au nom de la liberté d’expression? La réponse est non, la loi s’applique partout. Les réseaux sociaux sont-ils censés être un espace où tout est permis sous prétexte qu’ils relèvent d’un monde virtuel? Autrement dit, le fait de filmer la vraie vie la rendrait de fait virtuelle et donc à l’abri des délits et de l’exercice de la justice? La réponse est toujours non. Enfin, le fait que cette scène ait été filmée au domicile de Fatiha et non dans l’espace public atténue-t-il son geste? Toujours non. Qu’est-ce qui empêcherait dans ce cas une prochaine vidéo, cette fois-ci pornographique, sous prétexte que le sexe a été pratiqué de façon halal, entre un mari et sa femme, sous leur toit?

Dans le cas de Fatiha, mais de bien d’autres influenceurs aussi, la liberté d’expression a «trop» bon dos. Si on peut s’avancer à dire qu’à la décharge de Fatiha, elle a fait devant tout le monde ce que d’autres maquillent à coups de contenu bidons, autrement dit de la merde, sa défense s’arrête là.

Les réseaux sociaux n’ont pas vocation à être des espaces où on peut faire n’importe quoi et ce discours qui consiste à brandir la liberté d’expression à toutes les sauces est tout aussi dangereux que le contenu débilisant qui se propage actuellement à vitesse grand V.

Car au-delà de cette femme qui, avant de faire caca sous nos yeux, s’était aussi filmée assise par terre, toute habillée, en train d’uriner l’air de rien, il est aussi question à travers cette affaire des milliers d’autres pages hyper-sexualisées où des jeunes filles exposent leurs charmes, de pages où une certaine jeunesse se vante d’actes de violences, de pages où des challenges tantôt violents, tantôt grotesques, pullulent et font craindre pour la santé physique et mentale de ceux qui s’y adonnent... Nous nous trouvons dans une société de plus en plus exhibitionniste, nous le savons depuis le jour dramatique où nous avons basculé dans l’ère de la téléréalité. Mais faut-il pour autant encourager cette dérive, en la plaçant sous le signe de la liberté d’expression?

On ne peut décemment pas cautionner ce type de comportements déviants qui ne manqueront pas d’être reproduits par les plus jeunes qui y accèdent déjà en trop grand nombre. Arrive un moment où les usagers de ces plateformes se doivent d’être rappelés à une réalité, ils demeurent des citoyens soumis à des lois.

Quant à la notion de liberté, comment pourrait-elle brandie comme un étendard, alors même que les influenceurs qui usent de la provocation à outrance le font pour gagner de l’argent? Fatiha & co ne sont pas des icônes sacrifiées sur l’autel de la liberté d’expression par une justice aveugle, ni des ouled chaâb que l’on blâme pour ce que l’on tolère à d’autres, plus fortunés, comme l'avancent certains discours populistes.

Chacun se doit d’être responsable de ses actes. Tolérer le comportement de cette femme toujours pas sortie de la phase anale, c’est ouvrir la porte à un contenu encore plus gore, et inviter à une dangereuse escalade. Il y a des choses qui ne se font pas, c’est après tout ce que l’on apprend à nos enfants tout au long de leur éducation, et un trop grand laxisme, sous couvert de permissivité, n'a jamais été un gage de réussite en terme d'éducation.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 30/10/2022 à 12h48