Bridget Jones, la Marocaine

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ChroniqueAu Maroc, certains établissements hôteliers appliquent une mesure anti-débauche, qui n’est pourtant pas une loi, consistant à ne pas héberger une femme qui réside dans la même ville où est bâti l’hôtel en question.

Le 14/11/2021 à 12h30

Le 11 novembre, la France célébrait son Armistice et les célibataires leur journée mondiale. Chacun son combat. C’est en Chine qu’est née l’initiative de fêter une fois par an ceux qui ne sont pas en couple et le choix de la date du 11 novembre, 11/11, évoque précisément le chiffre 1, celui de l’individualité. 

Dans un pays où le mariage découle de la tradition confucéenne qui prône le mariage avant trente ans, le célibat des jeunes générations va pourtant crescendo.

La Chine, avec 240 millions de Chinois célibataires selon le dernier recensement de 2018, soit une personne sur six, se retrouve confrontée à un véritable séisme sociologique et à un défi démographique de taille. Et pour cause, les trentenaires d’aujourd’hui, issus de la politique de l’enfant unique, ne subissent pas leur célibat mais le revendiquent comme un choix de vie. 

Etudes trop chères, absence de maisons de retraites, faibles pensions versées aux personnes âgées sans compter la tradition qui veut que les couples doivent s’occuper de leurs progénitures et de leurs aînés… Autant de bonnes raisons pour les citadins d’aujourd’hui de ne pas céder aux sirènes de l’amour, ni à celles de la parentalité, et de faire sa vie en solo.

Une situation vécue comme un drame par l’ancienne génération, en mal de petits-enfants, qui continue bon an mal an d’écumer les marchés aux célibataires aux quatre coins du pays afin de vanter le CV d’enfants-adultes qui approchent la date de péremption, à savoir trente ans. 

Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres, en l’occurrence celui des entreprises qui ont bien compris le potentiel économique de ce nouveau genre de vie. En Chine, on trouve désormais des restaurants pour célibataires où l’on mange seul dans un box fermé, et chaque 11 novembre, les plateformes de commerce en ligne réalisent des scores impressionnants en associant cette journée, plus rentable encore que le Black Friday, à des opérations de soldes. Cette année, le géant chinois du commerce en ligne Alibaba a ainsi explosé ses scores avec 74 milliards d’euros dépensés sur la plateforme, soit 8,5 % de plus que l’an passé. 

Et en combinant les ventes d’Alibaba à celles de son rival JD.com, on atteint 121 milliards d’euros, «soit presque l’équivalent du PIB du Maroc!» relève un média français.

Au Maroc, la tendance est la même. On se marie de plus en plus tard avec 35% des femmes qui n’ont jamais été mariées et 24% de célibataires âgés de 30 à 34 ans.

Le travail des femmes, l’accès aux études et aux formations, ont favorisé leur autonomie et changé la donne dans une société marocaine qui valorise la femme quand elle est mariée. Mais si en Chine comme au Maroc, le célibat est vu d’un mauvais œil par les garants des traditions, sous nos cieux, le business du célibat ne décolle pas pour autant. 

Fort heureusement pour elle, Bridget Jones n’est pas née marocaine. Il y a quelques jours à peine, une jeune femme relayait sur les réseaux sociaux du collectif Moroccan Outlaws son expérience dans un hôtel casablancais. L’établissement a en effet refusé de lui donner une chambre, au motif que sa carte d’identité indique une domiciliation dans la même ville où est établi l’hôtel. Et à en croire les nombreux témoignages publiés en commentaires de cette mésaventure, cette affaire est très loin d’être un cas isolé, et encore moins une légende urbaine.

Au Maroc, certains établissements hôteliers appliquent cette mesure anti-débauche, qui n’est pourtant pas une loi, consistant à ne pas héberger une femme qui réside dans la même ville où est bâti l’hôtel en question. Parce qu’entre une femme et une prostituée potentielle, la frontière est fine, voire même invisible. Imaginez le drame vécu par une femme victime de violence qui cherche un abri après avoir fui son domicile…

Même topo quand il s’agit de louer un appartement. On se méfie des célibataires. Derrière cette sage étudiante se cache peut-être une travailleuse du sexe qui pourrait bien transformer ce studio de charme en lupanar. Et que dire de ce jeune homme qui tente d’afficher le profil du bon gars bien sous tout rapport? Certainement un zoufri qui va passer son temps à ripailler et à ramener des filles chez lui… Pour la peine, hommes et femmes célibataires sont logés à la même enseigne, celle de la suspicion quant à leurs mœurs légères. 

Une méfiance que l’on vit très mal quand on divorce ou quand on devient veuf-ve. Du jour au lendemain, la société vous rejette et les choses ne vont pas en s’améliorant si tant est qu’on ne souhaite pas se remarier. On passe alors du statut de personne respectée et mouhtarama, parce que mariée, à électron libre et de facto, potentiel fauteur de troubles.

Car au Maroc, être célibataire et aspirer à vivre seul, une fois passé un certain âge, rime avec sexualité débridée. Et ça, on n’en veut pas. 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 14/11/2021 à 12h30