Sea, sex and sun

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniquePorter un maillot quand on est une femme au Maroc relève véritablement du challenge, d’un acte de courage et de force de caractère car dès lors qu’on se dénude partiellement, notre pendant masculin semble penser qu’on consent à se faire emmerder.

Le 13/06/2021 à 12h12

Les plages marocaines sont enfin accessibles et depuis leur réouverture, les villes se déversent sur le sable naguère abandonné, et déjà, nous renouons avec ces vieilles habitudes que le confinement nous avait presque faites oublier. Et tout compte fait, ces restrictions avaient du bon…

La plage au Maroc, c’est beaucoup plus qu’un simple banc de sable et une eau tempérée où faire trempette. C’est un endroit incroyable, quasi-improbable, qui permet aux femmes et aux hommes de tous âges de se jauger dans leur presque nudité, sans pour autant que cela soit possible dans un autre espace public. Alors que les filles et les femmes tendent dans les rues à se couvrir pour ne pas heurter, attirer, titiller les regards masculins quitte à y réfléchir à deux fois avant de mettre une jupe, un décolleté ou un pantalon trop moulant, sur la plage, on passe du tout au presque rien. Ce qui s’apparente à faire un grand écart sans échauffement.

Observer la gente masculine face à ces corps féminins tout d’un coup exposés au soleil et aux regards de tous est assez comique à vrai dire, parfois aussi touchant, et hélas, dans de nombreux cas irritant, pour peu qu’on s’agace de se faire reluquer comme un baba au rhum dans la vitrine d’une pâtisserie. Porter un maillot quand on est une femme au Maroc relève véritablement du challenge, d’un acte de courage et de force de caractère car dès lors qu’on se dénude partiellement, notre pendant masculin semble penser qu’on consent à se faire emmerder. Pire encore si d’aventure on se laisse aller à quelques extravagances comme une couleur de cheveux flashy, un piercing ou un tatouage… Autant dire qu’on bascule du côté des professionnelles du sexe.

Alors non, pour nous les femmes marocaines, aller à la plage ce n’est pas une activité comme une autre. C’est une école qui vous apprend à vous endurcir. Ca commence petite déjà, à dix ans à peine, avec ces gamins, ces ados, ces hommes aussi, qui frôlent sournoisement votre corps sous l’eau, à l’abri des regards, l’air de rien, genre «je prenais une vague, tranquillou, et oups, pris dans mon élan, propulsé par la force hydraulique, je t’ai mis une main aux fesses». Puis, ça continue de plus belle à l’adolescence quand les regards coulissants deviennent obscènes, se portent délibérément sur chaque partie de votre intimité, et que les langues se délient, vicieuses. Puis, à l’âge adulte, notre statut marital va conditionner la manière dont on sera traitée et on y pense alors à deux fois avant d’oser certaines combinaisons socio-vestimentaires type «mariée-maman-bikini». 

Une fois installée sur notre serviette, après avoir traversé la foule sur la plage comme on marcherait sous les spotlights d’un podium et les regards critiques d’un public averti à l’œil aiguisé, on souffle un coup… Ça, s’est fait. Il va maintenant falloir braver les regards pour se déshabiller en étant bien conscientes que touuuuus les mecs autour de nous sont en mode pop-corn/strip tease. Puis, une fois effeuillée, vient l’épreuve de la crème solaire. Comment s’en tartiner le corps sans pour autant paraître trop suggestive, trop sexy, trop lascive, trop… ? Puis, vient la question fatidique: je vais piquer une tête ou pas? Autrement dit, suis-je prête et armée pour traverser à nouveau, mais cette fois-ci à moitié dénudée, cette foule de désirs frustrés. On prend alors notre courage à deux mains, on se lève maladroitement et on opte soit pour la démarche nonchalante, du type: je ne me rends AB-SO-LU-MENT pas compte que tous les regards me suivent; ou pour quelque chose de plus sportif et rapide, du type: je me lève aussi sec de ma serviette qu’on arracherait un sparadrap d’une plaie et je m’élance en courant pour vite plonger et me faire oublier. 

Mais déjà, la petite baignade est finie, et il faut alors se confronter à ce retour au sec dans ce qui s’apparente à un remake pourri d’Alerte à Malibu. C’est à ce moment précis qu’on se rend aussi compte des méfaits de la modernité et des nouvelles technologies quand elles sont entre de mauvaises mains, car aujourd’hui, sur les plages, dans chaque main il y a un smartphone et tout se photographie, se filme, se partage et se commente. Alors qu’on regagne notre serviette, dégoulinante de hchouma, on se voit déjà en haut de l’affiche, dans les albums photos de libidineux qui vont pouvoir nous reluquer tout leur saoul une fois de retour chez eux.

On en viendrait presque à préférer être un homme pour vivre sa vie en toute insouciance sans jamais se prendre la tête avec cette foule de préoccupations qui nous assaille un jour de plage ; ou à comprendre celles qui préfèrent le burkini au bikini… Puis tout d’un coup, on a une pensée pour nos voisines portugaises ou espagnoles pour lesquelles le monokini est une habitude et qui ne sont pas pour autant considérées comme des stars du porno par les hommes qui les côtoient sur le sable. Cherchez l’erreur…

Par Zineb Ibnouzahir
Le 13/06/2021 à 12h12