À une bête de compèt’

F. Pomel

ChroniqueJe dois être bien naïve… J’ai cru qu’en plus d’être intelligent, il était sensible et humain. Je me suis grave trompée, je suis déçue, donc je le dézingue.

Le 26/05/2022 à 09h00

Je me suis récemment faite rabrouer par un ancien premier de la classe, un vrai nerd. Tout du moins, il a cru qu’il allait réussir à me rabaisser. Les lignes qu’il a écrites à mon intention, moqueuses, paternalistes, flirtant avec le minable, je les ai parcourues à toute vitesse, n’ayant vraiment pas que ça à foutre.

Mais je n’allais certainement pas laisser passer ce truc, ç’aurait été bien trop facile. Je t’adresse donc ce qui suit, histoire que tu comprennes bien qu’il ne vaut mieux pas, jamais, me chercher des noises ou des poux dans la tête.

A nous deux, donc, chère bête de compétition, obnubilée depuis les coloriages de la classe maternelle à faire mieux que ton voisin, que tous tes camarades, et bien comme la maîtresse a dit.

Contrairement à toi, je n’ai jamais été la première de la classe. J’ai parfois raflé la meilleure note, quand ça m’intéressait, surtout en français, quelquefois en anglais ou en histoire, et ça m’est même arrivé en maths (je me souviens d’un contrôle de calcul mental, où il nous fallait avant tout être rapides et concentrés. J’avais battu à plates coutures de futures taupes de maths sup’, sans y avoir songé au préalable).

Et dire que dans cette même matière, j’avais fini l’année de Terminale avec cette moyenne mirifique: 0,75/20… Ou carrément un non moins prodigieux 0,25/20? Je ne me souviens plus. Le comble: j’avais choisi la spécialité maths dans ma filière. Un miracle s’était pourtant ensuite produit: j’avais réussi à décrocher mon bac, avec la mention «assez bien» de surcroît.

Comment? Par un rare acharnement à la dernière minute, en découvrant et en assimilant à toute vitesse mes cours, à la veille même des épreuves. Une belle série de nuits blanches, dont j’étais sortie victorieuse.

Je n’ai donc presque jamais rien fichu à l’école, j’ai même ardemment bullé et pas qu’en cette année de Terminale. Pire encore, j’ai peu travaillé avec régularité dans ma vie. Je n’ai jamais eu aucune ambition suivie, sauf peut-être une seule, importante à mes yeux: être une bonne personne.

En toute naïveté, je vous le dis tout de go, je suis intelligente. Certes, ce genre d’aveu ne se fait pas, les conventions le veulent ainsi, mais moi, je ne le savais pas et je viens d’ailleurs à peine de le découvrir, à ma grande stupéfaction. Je me suis même toujours considérée comme étant quelqu’un de lent à la détente. L’idée ne me dérange pas, bien au contraire, ça me fait rire. A cette auto-dérision, j’ai deux explications: une «mère» dénigreuse et humiliante, un «père» brutal et violent, qui m’a tabassée pour un oui ou pour un non.

Souvent pour un non, d’ailleurs. D’où, sans doute, ce j’m’en-foutisme, qui dure à ce jour. Et qui ne changera sans doute pas.

Après avoir enfin réussi à sortir mes géniteurs de ma vie (quel excellent débarras, cela m’a demandé à la fois du courage et un vrai travail sur moi-même), je me suis retrouvée il y a quelques mois sur le site de Mensa, à essayer une évaluation de mon Q.I à l’aide d’un logiciel. Je l’ai fait sur les conseils d’un ex-premier de la classe, un ancien camarade de lycée, pas si obnubilé que cela, lui, par le fait d’être une bête de compèt’. Un rêveur, un entrepreneur.

J’ai rapidement répondu aux trois-quatre premières questions, j’ai attendu la suite en piaffant, et que cela se corse, que diantre.

Le «jeu» s’est étonnamment arrêté là: le logiciel a refusé de me laisser poursuivre ce qui m’a semblé similaire à un très facile sautillement à la marelle. A même décrété que mon Q.I était «au-delà du périmètre que ce test mesure». J’ai cru que j’allais tomber de ma chaise.

Et puis je me suis souvenue, à l’école, au lycée, et aussi parmi certains membres de mon ex-famille, de l’extrême sentiment de supériorité de ces premiers de la classe, ces nerds couvés et bordés par leur mère, congratulés et flattés par leur père. Chez eux à la maison, l’autorité était peut-être dure, mais juste, et ni despotique, ni arbitraire.

Oui, je me suis souvenue d’un certain nombre de ces bêtes de compèt’, qui étaient en classe obsédées par leur quête fiévreuse de l’excellence, engagées dans une course effrénée aux bonnes notes, et qui se sont ensuite lancées, devenues adultes, à la conquête du sommet de leur hiérarchie, à la recherche d’honneurs, voire de pouvoir, dans leur pays natal parfois, mais le plus souvent ailleurs, dans cet Occident où la méritocratie existe un peu plus qu’ici, au Maroc.

Si leur accomplissement est admirable, cela l’a été quitte à en avoir oublié tout sens de l’humanité, et surtout cette belle empathie qu’il est bien rare de dénicher dans les curieux comportements de ces spécimens -je vous l’avoue, j’adore les observer. Et parce qu’ils auront lu deux bouquins (allez, soyons fous: trois), appris à résoudre une équation de je ne sais quel degré, ces messieurs-dames se croient autorisés à écrabouiller ceux sur leur chemin qu’ils auront trouvé bien insolents, ou pas suffisamment déférents devant leur grandeur, persuadés qu’ils le sont d’être des lumières, ce qu’ils n’avoueront d’ailleurs jamais.

Et moi, à 45 ans bien sonnés, j’en suis presque aujourd’hui à me féliciter d’avoir eu de vrais Thénardier comme parents. Bien des blessures ne sont pas encore totalement guéries, car avec eux, le quotidien fut bête, brutal, cruel, froid, haineux, toujours injuste, parfois sordide. Cela m’a sans doute brisée dans cet élan de vie que j’avais, mais cela m’a aussi permis de comprendre que cette fatuité dont font preuve bien des bêtes de compèt’ est vraiment ridicule. C’est tant mieux: je ne serai jamais cette savante à l’ego boursouflé, de celles et ceux qui croient avoir compris.

Le savoir est infini, je n’en sais peut-être qu’une bribe, toi sans doute un peu plus, mais au moins, je ne tente pas d’en écraser d’autres avec ce que je crois savoir, avec ce que je pense avoir accompli. Oui, tu es bien mal tombé en prétendant m’infliger une leçon, nimbée de morgue.

Ne vous laissez jamais impressionner par ce genre de personnes qui se croient sorties de la cuisse de Jupiter. Vous êtes magnifiques, tels que vous êtes. Surtout, ne vous laissez pas avoir par leur rictus condescendant. Que vos rêves demeurent intacts, continuez à cultiver vos envies d’accomplissement, quel que soit votre âge. Ce sera toujours possible.

Soyez sûrs, aussi, qu’il n’est pas grave de n’être détenteur d’aucun titre de premier de la classe, d’aucune médaille, ou de je ne sais quelle distinction honorifique qui fait se rengorger et se pavaner.

Quant à toi, car je me doute que tu es arrivé jusqu’ici: tu l’auras bien compris, je t’emmerde du fond du cœur.

Tu ne m’impressionnes pas. Sache-le, mon respect, je le décerne à d’évidentes qualités humaines, et je t’en avais par erreur attribuées. Mon respect, sache-le encore, je ne l’avais certainement pas décerné à tes accomplissements, que tu dois à un Q.I élevé, sur lequel je n’ai aucun commentaire à faire.

Enfin ne t’en déplaise, c’est très librement que je te donne aujourd’hui un 2/20 sur l’échelle de mon estime, à la mesure de cette immense déception que j’ai ressentie. Mais quelle belle dégringolade.

Par Mouna Lahrech
Le 26/05/2022 à 09h00