Le lien ne peut être établi directement, mais on peut estimer que le contexte sociopolitique et culturel, adossé à l’exploit de l’équipe nationale féminine de football, était exceptionnel. Un momentum idéal pour que le Souverain juge opportun de faire le bilan de ce qui a été entrepris en faveur des femmes depuis 23 ans et ce qui reste à accomplir ou parfaire.
Un contexte exceptionnel parce que le peuple marocain a vécu pendant presque un mois, du 2 au 23 juillet 2022, d’intenses et inédits moments avec le superbe parcours de l’équipe nationale féminine lors la 14e Coupe d’Afrique des Nations mettant aux prises les 12 meilleures équipes du continent.
Les Marocaines sont vice-championnes d’Afrique, une place méritée et conquise de haute volée. Du caractère, de la volonté et aussi de la beauté et de la grâce! Le message royal qui a été adressé à l’équipe, après la finale face à l’Afrique du Sud, a condensé les sentiments profonds du peuple marocain.
Le Souverain a suivi avec «grande joie et immense fierté l’excellent parcours de l’équipe nationale (…) couronné par la qualification historique à la Coupe du Monde 2023 (…), un exploit bien mérité, le premier du genre dans le palmarès du football féminin marocain, qui vient s'ajouter aux réalisations du Maroc, dans diverses disciplines sportives».
Le Roi a également exprimé «sa fierté de l’équipe nationale féminine qui a fait preuve, tout au long de ce championnat continental, d'un esprit de compétition très élevé et a signé une performance exceptionnelle qui constitue un bel exemple de sérieux, de persévérance et de patriotisme, pour hisser haut les couleurs nationales».
D’un autre côté et lors de la cérémonie du tirage au sort le 30 avril 2022, le président de la fédération royale marocaine de football a fait une annonce qui prend aujourd’hui tout son sens. Il a déclaré que «cette compétition traduit également la volonté du Royaume, sous la conduite éclairée de SM le Roi Mohammed VI, de mettre la femme au centre de l'attention de l'action publique et, partant, développer le football et le sport féminins».
Le sport étant un vecteur ou support influent, le propos est en conformité avec la vision de l’Etat marocain de placer la femme au cœur de la dynamique de changement social et du progrès économique.
Sa Majesté le Roi, qui a analysé l’importance de cet évènement sociétal, à substratum sportif, a tenu à lui donner immédiatement une suite juridique et des conséquences en matière de droits. Tout cela, dans le cadre éminemment solennel du discours du Trône qui constitue un moment majeur dans la vie de la Nation.
Une forte symbolique et une connexion heureuse entre un triomphe international sportif, une fête nationale et la consolidation des droits des femmes.
En plus d’applaudir la victoire, il fallait aussi en faire un levier pour consolider des droits car l’évènement ne pouvait en rester seulement à l’expression de sentiment de joie et de fierté.
L’équipe nationale a changé la vision d’un grand nombre d’hommes, dont une majorité ravie par la performance et une minorité de machistes et autres obscurantistes encore abasourdis. Ils n’ont pas vu venir les Lionnes de l’Atlas! Là, ils en ont pris plein les yeux. Un changement opéré en un temps très court, le temps de cette 14e CAN.
Une finale avec 50.000 spectateurs à Rabat. Un chiffre historique et inédit en Afrique pour un match de foot féminin. Cela s’est fait au Maroc! Des millions de téléspectateurs. Des cafés partout bondés au Maroc pour voir le match à la télé. Footballeuses ou footballeurs, peu importe, la tenue aux couleurs nationales fait vibrer les cœurs. En plus, elles déroulent de l’excellent jeu. Le public est toujours sous l’émerveillement.
Elles ont fait gagner du temps à la société marocaine, grâce à leur talent, leur combativité, leur courage. Elles ont dit: «Voilà de quelle trempe nous sommes! Voilà de quoi nous sommes capables». Leur exploit est aussi le reflet d’une dynamique profonde qui anime la société marocaine dans son ensemble, car il y a des femmes de la même trempe dans d’autres domaines.
L’Etat en a pris acte. L’évocation des droits des femmes dans le discours du Trône est issue d’une vision en totale adéquation avec un horizon d’attente d’actualité. La femme doit bénéficier des droits légitimes que lui donne la loi au-delà des obstacles et des lectures erronées qui empêchent l’application correcte des cadres juridiques réformés.
Des orientations royales ont été données pour que tout ce qui a été entrepris depuis 23 ans soit consolidé. Le législateur a donc été appelé à «mettre à jour» les dispositifs et les législations nationales, dédiés à la promotion des droits des femmes. Et qui n’ont jamais été antithétiques avec les fondamentaux religieux. Le Souverain a aussi appelé à opérationnaliser des institutions constitutionnelles relatives aux droits de la famille et de la femme.
A titre d’exemple, nous citerons l’article 19 de la Constitution qui dispose que «L’Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes. Il est créé à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination».
Le Roi est revenu sur plusieurs sujets pour faire des «explications de texte royales» à l’attention de ceux qui traînent à s’intégrer dans une dynamique inéluctable. Le Souverain a souligné une «vérité essentielle»: «quand les femmes accèdent pleinement à leurs droits, elles ne portent aucun préjudice aux hommes, pas plus qu’elles ne se font tort. De fait, la condition sine qua non pour que le Maroc continue de progresser est qu’elles occupent la place qui leur échoit et qu’elles apportent leur concours efficient à toutes les filières de développement».
Le message des Lionnes de l’Atlas a été entendu. Elles ont parlé au nom de toutes les femmes. L’Etat a répondu par une volonté d’améliorer l’arsenal juridique qui leur est consacré.
L’équipe nationale féminisme a fait bouger les lignes au sein des strates profondes de la collectivité. Elle a bousculé certaines mentalités, mobilisé la société civile et sensibilisé les acteurs politiques et le législateur… et ce, en un laps de temps court.
Peut-être encore plus efficacement que ces meetings, assemblées générales, campagnes et actions menées par ces associations ou collectifs militants qui font de leur mieux pour la défense des droits de la femme.
Le sport populaire numéro 1 et sa visibilité dans les médias ont permis de «ringardiser» les préjugés et les stéréotypes réducteurs. C’est aussi ce qu’a compris le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle (CSCA).
Le vendredi 29 juillet, le CSCA a appelé à un traitement médiatique équitable pour le sport féminin. Il a salué la médiatisation de la participation de l’équipe nationale féminine à la CAN 2022.
Le Conseil a également souligné que cette médiatisation a permis une visibilité inédite de la présence des femmes dans l’espace public sportif: terrains, tribunes, entraînements, points de presse et évènements parallèles… Elle a également suscité un engouement et un enthousiasme populaire et un intérêt collectif sans précédent pour une équipe nationale féminine.
Le CSCA a aussi rappelé que la médiatisation du sport féminin contribue à la promotion de la représentation équitable des femmes dans les médias et au renforcement de la culture de la parité et de l’égalité de genre au sein de la société. Pour le CSCA, «les valeurs positives du sport ainsi que la popularité et le potentiel d’audience des compétitions sportives offrent une opportunité de visibilité des femmes dans des positions de performance, de leadership et de contribution au rayonnement du pays».
Le CSCA a été pertinent et a eu le bon réflexe. Il a su déchiffrer et a compris le sens de l’évènement en faisant le lien entre le sport, la visibilité de la femme dans l’espace public et la culture de la parité et de l’égalité de genre.
A l’instar du CSCA, on attend les réactions d’autres instances, institutions ou associations féminines pour donner une lecture de l’évènement et consolider la dynamique.
Ce volontarisme des sportives marocaines a eu des effets sur la société dans son ensemble. Leur victoire a consolidé un mental de gagnant, au-delà des sexes!
Elles sont en train de changer finement des normes sociales désuètes. Par des actes concrets et spectaculaires, en relevant des challenges sportifs, face à une adversité internationale de haut niveau. Le public en est profondément marqué.
Bien sûr, on ne peut tout réduire au sport, mais il reste porteur d’une forte symbolique du corps. Pas seulement celle des libertés individuelles! Le sport, c’est une autre relation et une approche du corps. Ce n’est pas seulement l’équation du corps aimant et aimé. Il y a d’autres dimensions qui s’ajoutent!
Articuler la question du «corps» exclusivement autour de la lutte pour les libertés individuelles est certes important, mais ce n’est pas suffisant pour changer l’ordre des choses dans des sociétés où de larges pans sont encore captifs de mentalités attardées.
Imposer l’image du corps déjà, et en l’occurrence sportif, dans sa beauté, sa vigueur, ses performances, son naturel… et le reste forcément suivra, tout le reste. Notamment face à ceux «hypocritement importunés» même à la vue d’une sportive en short. Devant le triomphe sportif féminin, qui porte haut le drapeau national parmi les Nations, les rétrogrades ne peuvent que se taire!
Le corps de la sportive, ou du sportif, est porteur d’une image forte. C’est un «système» qui travaille, qui s’entraîne intensément avec des objectifs toujours croissants, qui puise au fond de ses ressources pour réaliser des performances de haut niveau.
Toutes les manifestations sportives internationales dans lesquelles brillent les femmes, marocaines et autres, sont un argument fort sur leur positionnement social et leur leadership. De profondes symboliques qui contribuent à installer efficacement la culture de la parité et de l’égalité de genre. C’est ce qui est illustré par les championnes marocaines, dans tous les sports, et qui se sont vues confier, par la suite, d’importantes charges et missions publiques. Une dynamique bénéfique à l’ensemble du «corps social».
Il est certain que le football, au vu de sa popularité universelle, capte les lumières, mais la lecture reste valable pour toutes les réalisations sportives des Marocaines, que ce soit dans les compétitions africaines, méditerranéennes ou olympiques.
Enfin, l’exploit de l’équipe nationale féminine de foot n’est pas un «terminus», ni une fin en soi. Ce n’est qu’une étape sur un long chemin. Un combat de tous les jours. Car même pour les droits des femmes occidentales rien n’est définitivement acquis. Elles demeurent vigilantes, car toutes les régressions sont possibles. La multiplication des exploits et des performances des femmes, dans tous les champs et partout dans le monde, met une forte pression sur les tenants des positions rétrogrades.