Rachid Boudjedra est un écrivain algérien assez connu, il a publié quelques bons livres. Son premier roman La répudiation, édité par le grand Maurice Nadeau, avait marqué les esprits à la fin des années soixante. Mais Boudjedra a mauvais caractère. Peut-être vaut-il mieux qu’un écrivain ne soit pas toujours convenable. Mais dans le cas de Boudjedra, il y a autre chose. Il ne supporte pas le succès des autres. Je me souviens d’un article publié au moment de mon prix Goncourt, titré «le Goncourt de la honte». Cela fait trente ans, mais je ne l’ai pas oublié. Je ne sais plus dans quel canard il avait publié son texte, mais j’avais à l’époque traité cela avec indifférence. Je me souviens aussi de l’époque où j’écrivais dans Le Monde des Livres, avoir reçu un appel téléphonique de Boudjedra m’interdisant de faire un article sur un de ses romans qui venait de sortir en France, considérant que ses livres méritent d’être traités par des plumes françaises plus connues.
Aujourd’hui, fidèle à lui-même, il publie Les contrebandiers de l’histoire aux éditions Frantz Fanon, un pamphlet où il s’en prend vivement à trois bons romanciers algériens écrivant en français: Boualem Sansal, Salim Bachi et Kamel Daoud. D’après lui, ce dernier est «un ancien membre du GIA –Groupe armé– du temps où il était jeune». Accusation grave et dangereuse. Il y a de quoi ternir et mettre fin à la belle carrière de cet intellectuel et journaliste de talent. Kamel Daoud vient de porter plainte pour diffamation.
Les écrivains maghrébins ne sont pas légion. Au lieu de se serrer les coudes et d'être solidaires, certains préfèrent l’invective, la haine, la jalousie, l’insulte car ils ne supportent pas le succès des autres, surtout quand il dépasse les frontières du grand Maghreb. Daoud et Sensal sont traduits dans une vingtaine de langues et les chroniques de Kamel Daoud sont suivies avec attention au magazine Le Point, dans la Repubblica et dans le New York Times. De quoi alimenter beaucoup d’envie et de jalousie. Mais de là à accuser ses collègues de tous les maux, il y a une limite que Boudjedra a largement dépassée. La réaction de Daoud a été digne et mesurée. Voici ce qu’il écrit dans une lettre adressée à la presse:
«Les habitudes virulentes de Rachid Boudjedra sont connues de tous, et nombreux ont été la cible des humeurs de l’écrivain.
Mais cette fois, il s’agit d’une diffamation grave, d’une insulte à ma personne, au père et au fils que je suis, à la mémoire blessée de ma génération: lire dans un ouvrage publié que j’ai été «très jeune membre du GIA!», donc membre d’un groupe d’assassins qui a marqué au sang notre souvenir et nos corps, m’est intolérable. Insupportable. Parce qu’il s’agit d’un groupe d’assassins, parce que cela nous a coûté une décennie de massacres, parce que beaucoup ont été victimes de ces meurtriers. S’amuser avec ce sigle pour régler ses rancunes n’est pas une insulte à ma personne, mais à nous tous. C’est une diffamation si grossière qu’elle laisse désarmé».
La littérature maghrébine d’expression française n’a cessé de témoigner sur son époque et de mieux faire connaître l’imaginaire des peuples de cette région. De Kateb Yacine et Driss Chraïbi à aujourd’hui Kaouther Adimi et Leila Slimani, les lettres françaises se sont enrichies et le grand public des lecteurs soutient cette littérature. Il y a bien sûr des imposteurs, des gens qui n’écrivent pas leurs livres et se font passer pour ce qu’ils ne sont pas, mais Boudjedra ne les attaque pas, il préfère critiquer vertement ceux qui réussissent et sortent du lot. C’est un bien mauvais caractère. Dommage!