Un lecteur m’a reproché le fait de ne pas avoir consacré une chronique sur ce qui se passe depuis deux semaines à Gaza. Effectivement, non seulement je n’ai rien écrit, mais aucune nécessité ne s’est imposée à moi pour le faire. Les images des bombardements, des civils dont beaucoup d’enfants morts, se répètent depuis longtemps. Le temps passe et la question demeure.
Je n’ai rien écrit parce que la manière dont fonctionne le Hamas me désespère.
Curieux, pour quelqu’un qui a passé sa vie à défendre la cause palestinienne dans la presse européenne, dont la française, particulièrement hostile à tout ce qui touche la Palestine. Je me souviens des luttes en coulisses dans les couloirs du journal Le Monde où je collaborais en tant que pigiste (rattaché à l’équipe du Monde des Livres). Je me souviens d’Eric Rouleau qui me soutenait discrètement et de Jacques Amalric, chef du service «Etranger» qui ne voulait pas d’une signature arabe dans ses pages et surtout pas pour attaquer la politique coloniale d’Israël.
Je me battais, entêté, et une fois sur trois, je réussissais à publier une opinion dénonçant l’injustice dont est victime le peuple palestinien.
Je me souviens d’une page dans la rubrique Culture du Monde (25-26 mai 1975) où Eric Rouleau défendait le film de son ami Costa Gavras «Hannah K», l’histoire d’un jeune palestinien qui veut récupérer sa maison confisquée par des colons juifs, et qu’une avocate américaine vient pour le défendre. C’est sur cette page que j’ai réussi à publier «Les Amandiers sont morts de leurs blessures», un texte qui évoque la brutalité de l’armée israélienne qui venait d’annexer un village situé au nord-est du Sinaï, appelé la Trouée de Rafah.
Scandale! Je me souviens avoir reçu des coups de téléphone de certaines personnes qui me disaient «tu le payeras!».
Et je l’ai payé! J’étais devenu, un certain moment, l’écrivain dont il ne fallait pas parler dans les colonnes des grands journaux parisiens. Je suis encore aujourd’hui sur la liste noire de plusieurs quotidiens. Je ne me plains pas, je constate et informe. C’est tout.
J’ai résisté. Seul. Et la Palestine au cœur m’obsédait tout le temps.
Je me souviens d’une grande émission de télévision sur ce conflit où, emporté par l’émotion, suite à un massacre de plusieurs enfants, j’ai dit en direct au porte-parole du gouvernement de Sharon: «Israël pratique le terrorisme d’Etat».
Tout cela est loin. Je n’ai pas changé, mais j’ai compris qu’il n’y avait plus rien à faire. Alors je me tais. J’assiste au déroulement du même scénario depuis des décennies et je ravale ma colère. Colère contre l’impunité d’Israël. Colère contre les divisions et la pourriture de certains dirigeants palestiniens, colère contre le Hamas qui ne protège pas sa population.
Le résultat est toujours le même: des innocents meurent et le gouvernement israélien poursuit sa politique, car il est devenu intouchable et il peut tout se permettre.
La question palestinienne remue en moi toutes les déceptions, toutes les rancœurs d’un monde arabe divisé, ayant abandonné les Palestiniens à leur sort. Aujourd’hui, ceux qui tirent les ficelles, ce sont, d’un côté, le Qatar qui défend à travers le Hamas l’idéologie des Frères musulmans, et l’Iran qui, comme au Liban participe à la consolidation d’une armée qui croit faire mal à Israël en tirant des missiles qui permettent à l’armée de riposter en bombardant les populations civiles de Gaza.
Israël ne veut pas de Palestiniens à côté de ses territoires annexés. Pas de négociations, pas de main tendue, seule la disparition des Palestiniens l’intéresse.
A présent Netanyahu s’attaque aux Israéliens arabes. Il aimerait bien les expulser d’une manière ou d’une autre.
Voilà pourquoi le désespoir se repose dans le silence. Et le silence ne veut pas dire indifférence.