Au festival itinérant La Milanésiana, organisé par l’éditrice italienne Elisabetta Sgarbi, j’ai lu, dans la petite ville d’Imola, à une trentaine de km de Bologne, un texte sur le concept d’Omission. Une fois n’est pas coutume, je souhaite partager avec les lectrices et lecteurs du 360 cette évocation de cette notion dont il faut toujours préciser le sens.
La vie serait plus simple si le diable ou son cousin n’avait inventé ce péché qui ne dit pas son nom et qui peut faire mal.
La vie amoureuse serait pavée de fleurs et de petits bonheurs de toutes les couleurs. L’infidélité serait commise en toute tranquillité. Les amants n’auraient pas à inventer des stratagèmes pour se retrouver et pour justifier leur absence du domicile conjugal.
L’aveu serait plus sain et plus risqué. La vérité n’est pas toujours bonne à dire. Vous imaginez le mari qui demande à sa femme, «où étais-tu ma chérie?» Elle répondrait: «chez mon amant, mon chéri». Et lui, tout en lisant son journal, ajouterait «excuse ma curiosité, je voulais juste savoir».
C’est Saint-Paul qui a le mieux défini l’omission: «je fais le mal que je ne veux pas faire, et je ne fais pas le bien que je voudrais faire».
Je suis innocent. J’assiste à la vie en spectateur auquel on ne peut rien reprocher. C’est facile.
Mais les religions considèrent l’omission comme un péché, un péché commis par une inaction volontaire. Je ne veux pas agir.
J’assiste à une injustice et je ne dis rien. Je ne réagis pas. Je m’absente. Je me tiens à l’écart.
Quant à ma conscience, je m’arrange avec elle. Je lui raconte des histoires. Pour un écrivain, c’est facile, car son métier est de raconter des histoires et de vous faire croire qu’elles existent ou ont existé.
L’omission est une forme de lâcheté. Parfois elle peut sauver des vies. Imaginez la scène de toute à l’heure: «où étais-tu ma chérie?»; la femme répondrait, « j’étais chez ma mère malade». Le mari: «mais j’ai rencontré ta mère chez le bijoutier de la rue Siaghine». A partir de là, c’est le mensonge qui entre en scène et qui introduit la faute, le péché, le délit.
Le mari va creuser un peu plus. Il finira par lui avouer que sa femme avait menti et qu’elle l’avait trahi.
Une autre situation: je suis en mesure de faire le bien et je ne le fais pas. Je laisse passer une occasion d’être bon, serviable, humain, généreux. C’est un choix.
Dans mon pays il y a beaucoup de mendiants. Certains sont professionnels, d’autres ont vraiment besoin d’aide pour vivre. Je sais repérer ceux et celles qui font de la mendicité un métier. Comme je sais reconnaître ceux et celles qui sont dans le besoin. Je peux mettre la main à la poche et donner quelques pièces. Cela ne va pas me ruiner, ni changer quoi que ce soit dans ma vie. Et pourtant je ne le fais pas. Pourquoi? Par omission.
Va expliquer à la femme qui a faim que par omission je ne lui pas filé un billet pour qu’elle s’achète de quoi manger! Elle ne comprendrait pas.
Un autre exemple: les médias nous abreuvent d’informations sur l’immigration clandestine.
Je suis hyper-informé. Je reste installé dans mon canapé douillet et je ne fais rien.
Je sais, je ne peux pas faire grand-chose contre l’immigration clandestine, mais mon devoir de citoyen est de tout faire pour que les choses changent. Ecrire, expliquer, proposer des solutions.
Je choisis de ne rien faire.
L’omission plane au-dessus de ma tête et de ma conscience qui est en vacances.
En amitié, l’omission fait une bonne carrière. L’omission est un mensonge (un silence) qui n’en est pas un. J’évite de dire une vérité qui pourrait déranger, blesser, mettre mal à l’aise mon ami.
Je déforme la réalité, je lui tords le cou.
Je commets une transgression d’un précepte ou abstention dans l’accomplissement d’un acte en rapport avec la loi morale.
Exemple: une amitié forte, celle de toute une vie. L’un est médecin, l’autre est journaliste.
Le journaliste consulte son ami médecin. Celui-ci lui découvre une tumeur dans une partie du corps. Lui dire la vérité ou le rassurer en ne lui disant rien?
Dire la vérité.
Deux réactions de la part du malade: il accepte d’entendre la vérité et l’assume. Il remercie son ami de lui avoir dit la vérité sur son état. Il décide de se faire soigner.
Il refuse d’accepter et en veut à son ami de l’avoir brutalisé en lui annonçant une mauvaise nouvelle. Il lui en veut au point de se dire «il est content que je meure avant lui», ou bien, «c’est un sadique, je l’ai toujours su, et aujourd’hui j’en ai la preuve». «C’est un mauvais ami; je me suis trompé sur notre amitié».
Cette deuxième attitude pourrait avoir une autre interprétation: je suis tellement ami avec cet homme que je ne voudrais pas qu’il me voie dépérir peu à peu; alors je romps avec lui et je préfère ne plus le voir pour ne pas le peiner.
L’omission est ici problématique. Il s’agit là de cacher la vérité à son ami, quitte à ne pas lui rendre service.
C’est un cas de conscience et de choix douloureux.
Est-il nécessaire de dire à une personne condamnée par la maladie qu’il ne lui reste que quelques semaines à vivre?
Aucun intérêt à faire cela.
Ici, l’omission devient un devoir.
La littérature n’est pas de la sociologie. Les écrivains déforment le réel, le transforment et le réinventent à l’infini.
Lisez Borgès. On est pris de vertige. C’est un grand menteur. Par omission ou par volonté. Voici ce qu’il écrit: «je suis un homme lâche: je ne lui donnais pas mon adresse pour m'éviter l'angoisse d'attendre des lettres».
Il est en fait important de ne pas se mentir à soi-même et de mettre l’omission dans la cave de l’oubli.