La décision d’enseigner dans les écoles l’histoire de la culture juive est une bonne nouvelle. Non seulement c’est toujours passionnant d’apprendre et de cultiver le savoir, mais en plus il s’agit d’une part non négligeable de notre patrimoine culturel et civilisationnel.
Le grand historien marocain Haïm Zafrani (1922-2004), né à Essaouira, descendant d’une famille juive originaire d’Andalousie, a passé sa vie à décrire la symbiose entre la culture juive et la culture musulmane au Maroc. Il n’a pas cessé de rappeler que «l’antisémitisme de l’Europe médiévale et moderne est étranger à l’histoire de la pensée musulmane au Maghreb, au Maroc notamment».
C’était un grand homme, modeste, discret, un merveilleux connaisseur de cette culture. Parmi ses livres importants, je vous signale «Juifs d’Andalousie et du Maghreb» Ed. Maisonneuve et Larose (1996).
Dans un entretien qu’il m’avait accordé à la sortie de ce livre et publié dans Le Monde (7 juin 1996), il me racontait comment, au lendemain de l’indépendance du pays, il avait pris part au chantier de l’alphabétisation des Marocains aux côtés de Mehdi Ben Barka et de Mohammed el Fassi, premier ministre de l’éducation nationale du Maroc indépendant : «c’était une époque formidable, une époque d’enthousiasme et d’ouverture. Ben Barka était un esprit d’une intelligence remarquable. Il prit ma défense lorsque j’ai tenu à ce qu’on garde l’hébreu dans les écoles juives qui n’étaient pas rattachées aux école israélites européennes, mais devenues marocaines. Le parti de l’Istiqlal était contre cette idée».
Voilà qu’aujourd’hui, l’enseignement de l’hébreu et de la culture juive marocaine vient remettre les choses à leur place.
Certes, avec le départ (dont certains étaient forcés) des juifs vers Israël, le Maroc a perdu une partie importante de son capital humain, un pan entier de son identité riche en diversité.
A l’indépendance du Maroc, on comptait 280.000 juifs, dont 90.000 installés à Casablanca, une ville à l’époque de 300.000 habitants. Aujourd’hui, ils sont au nombre de 2000!
Ceux qui sont partis, ont été, dans leur majorité, mal accueillis en Israël. Ils ne s’y sentaient pas bien. Mais le cours de l’Histoire ayant pris un chemin violent et injuste, le Maroc a été ainsi privé de ce capital.
Il lui est difficile de le récupérer aujourd’hui. Le moins qu’il puisse faire, c’est d’enseigner cette culture et l’installer dans l’histoire du pays.
Il ne faut surtout pas confondre la population juive marocaine avec l’Etat d’Israël, qui, lui est une entité politique qui occupe et colonise des territoires appartenant aux Palestiniens. Un des cadeaux que Trump a accordé à Israël est le fait de «légitimer» la colonisation, faisant des territoires pris aux autres, un bien «légal» de l’Etat d’Israël, allant ainsi contre les nombreuses résolutions des Nations Unies.
Surtout pas de confusion.
Les juifs et les musulmans ont prouvé durant des siècles qu’ils étaient capables de créer ensemble une culture où les deux sensibilités, les deux imaginaires se retrouvaient enrichis. Haïm Zafrani le rappelle dans notre entretien: «avant 1492, les deux rives de la Méditerranée étaient liées. Rien ne distinguait l’Andalousie du Maghreb. Même après l’exil et l’Inquisition, il y a eu une continuité dans ce mode de vie, surtout au Maroc. Il fallait le rappeler en s’appuyant sur des documents objectifs, en citant des textes. Car certains avaient intérêt à occulter ce partage et cette civilisation où il y avait des apports des deux côtés».
Il cite Aragon pour finir: «ce qui a été sera, pourvu qu’on s’en souvienne».
Il faut rappeler que certains partisans de l’idéologie salafiste, ont oublié cette mémoire partagée et nourrissent un antisémitisme qui va l’encontre de la politique d’ouverture et de tolérance que développe Sa Majesté Mohammed VI. Comme son grand-père, feu Mohammed V, il reste le protecteur de la communauté juive qui fait partie intégrante du Maroc, de son histoire, de sa mémoire et de sa culture.
La politique actuelle d’Israël voudrait effacer cette mémoire. Heureusement que chaque année, des centaines de jeunes juifs reviennent en pèlerinage dans le pays de leurs parents, maintenant ainsi vives leurs racines marocaines.