Macron, l’Algérie, le Maroc

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun. . DR

ChroniqueIl est prévu qu’Emmanuel Macron fasse une visite au Maroc pour prendre des contacts comme il vient de le faire en Algérie. La première question que j’ai eu envie de lui poser, c’est ce qu’il pense du principe de l’intégrité territoriale.

Le 13/03/2017 à 11h59

Certains Marocains sont plus intéressés par les élections présidentielles françaises que par l’absence de gouvernement à Rabat. Le feuilleton Fillon a de quoi susciter plus que de la curiosité, parce qu’il s’agit d’éthique et de cohérence aussi bien morale que politique. Et cela nous parle beaucoup au Maroc. C’est même le sujet qui revient le plus dans les discussions de café. Le peuple a raison d’exiger de ceux qui veulent le représenter d’être des personnes de qualité, irréprochables et intègres.

Invité surprise de cette élection, Emmanuel Macron, 39 ans, ancien banquier, homme de culture, est en train de séduire de plus en plus de gens, les jeunes en particulier. Au 10 mars, les sondages le donnent à 26% des intentions de vote, ce qui le place devant Marine Le Pen et ce qui est encore mieux, il est capable de la battre. La France n’est pas à l’abri d’une catastrophe, genre Donald Trump. Tout peut arriver.

Et si la France choisit Macron au mois de mai prochain? Tout est possible. Il a un programme audacieux, des idées nouvelles, puise aussi bien dans le capital idéologique de la gauche que de la droite, ce qui fait dire à certains, «il est de gauche ET de droite». Une synthèse qui ne déplaît pas au monde de la finance et qui rebute quelque peu les tenants de la gauche socialiste.

Mais ce qui plaît le plus chez ce jeune homme marié à son ancienne professeure du lycée, c’est justement la jeunesse et la promesse de voir de nouvelles têtes dans le champ politique. Il est prévu qu’il fasse une visite au Maroc pour prendre des contacts comme il vient de le faire en Algérie.

La première question que j’ai eu envie de lui poser, c’est ce qu’il pense du principe de l’intégrité territoriale. Car après son voyage en Algérie où il déclaré que «la colonisation de ce pays est un crime contre l’humanité», je voulais lui demander si l’Algérie actuelle ne commet pas une grave erreur en faisant tout pour empêcher le Maroc de réaliser et consolider dans la paix son intégrité territoriale. C’est l’une des questions que je lui ai adressées.

J’ai connu Emmanuel Macron alors qu’il travaillait chez Rothschild et venait aux réunions de l’association «Terra Nova». A l’époque, personne ne lui prédisait un avenir politique aussi fabuleux. Mais un grand patron, un entrepreneur talentueux, Henry Hermand, l’avait repéré et pris sous son aile. Quand Macron fut nommé à l’Elysée puis devenu ministre de l'Economie, Hermand ne le lâchait pas. Il l’encourageait à construire «la société libérale et progressiste», ce qu’on retrouve aujourd’hui dans son programme économique.

Henry Hermand est mort en novembre dernier à 92 ans, quelques semaines après que son protégé a quitté le gouvernement, créé son mouvement «En marche!» et se préparait à déclarer sa candidature à la présidentielle. Nous étions ensemble aux obsèques de ce grand homme d’affaires qui a investi au Maroc mais l’a amèrement regretté parce que les choses se sont passées de manière désastreuse pour lui ; jusqu’à son dernier souffle, il me disait combien il regrettait cette aventure marocaine.

Quoi qu’il en soit, notre pays respecte depuis toujours le choix des Français. Ce qui est certain c’est que les socialistes ont toujours eu une relation particulière avec l’Algérie qui sait comment cultiver chez eux le sentiment de culpabilité. Lors du premier voyage de François Hollande au Maroc en avril 2013, je me souviens de Laurent Fabius me disant «j’ai appelé mon homologue algérien avant de monter dans l’avion ; nos amis algériens sont si susceptibles!»

J’espère qu’Emmanuel Macron, s’il est élu président, ne tombera pas dans les filets de cette culpabilité qui ne veut pas tourner la page de l’Histoire.

Les deux autres questions qui nous intéressent, concernent la relation avec l’islam et la condition des immigrés et de leurs enfants nés en France. Fillon a déjà dit et écrit que «la France n’a pas de problème avec la religion mais a un problème avec l’islam». Pour lui l’islamisme est l’équivalent du nazisme. C’est sans doute pour cette prise de position si dure que les électeurs de la primaire lui ont fait un triomphe. Sur ce plan il rejoint les thèses de Le Pen.

Emmanuel Macron est plus subtil. Tout en défendant le principe de l’Etat laïc (et non la société) il a précisé sa position: «En tant qu’homme politique, je ne promets ni le bonheur ni la transcendance car ce serait une folie, un projet totalitaire et mortifère. Si je ne reconnaissais pas cette part de transcendance que porte le dialogue avec les religions, j’accepterais de rabaisser nos semblables à l’extrême solitude du quotidien. Dans ce cadre, je suis tout à fait favorable à ce que l’on confie à la Fondation pour l’islam de France le soin de faire vivre un islam moderne dans notre société contemporaine.»

Sur l’immigration, il se montre lucide et généreux. Voici l’une de ses déclarations (que peu de Français approuvent): «De surcroît, l’immigration se révèle une chance d’un point économique, culturel, social. Dans toutes les théories de la croissance, elle fait partie des déterminants positifs. Mais à condition de savoir la prendre en charge. Quand on sait les intégrer, les former, les femmes et les hommes renouvellent notre société, lui donnent une impulsion nouvelle, des élans d’inventivité, d’innovation.»

Si Macron maintient ces positions jusqu’au bout, il y a des chances pour que les deux thèmes qui font affluer les électeurs au Front National débouchent sur des relations nouvelles, dénuées de toute discrimination, ce qui donnera à la France un autre visage, moins crispé, moins inquiet.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 13/03/2017 à 11h59