En ce moment, il existe en France deux mots qui font peur «l’islamo-gauchisme». Deux mots qui n’ont rien à faire ensemble.
L’expression occupe les médias depuis plus d’une semaine, depuis que la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal a déclaré que «l’islamo-gauchisme gangrène l’université en France». Le double mot est malheureux et surtout impropre. Il porte en lui de quoi semer la discorde et à plus long terme la peur. Peur de l’islam, évidemment. L’islamisme, qui est une dérive idéologique de l’intégrisme au nom de l’islam, n’appartient ni à la gauche traditionnelle et encore moins à l’extrême gauche, le gauchisme. Ce sont deux mondes différents et même opposés. L’un est un totalitarisme né d’un détournement d’une religion, l’autre est une exaspération d’une lutte pour une société non capitaliste. Entre les deux, aucun lien et encore moins un courant qui passerait. Le seul lien commun serait l’extrémisme allié à l’intolérance.
Nombreux les musulmans innocents qui sont tombés sous les balles du terrorisme au nom de l’islam. Ce fléau a sévi et continue de vouloir sévir dans le monde et en Europe en particulier. C’est cela l’islamisme, une religion accaparée par des individus qui l’interprètent selon leurs desseins criminels, se cachant derrière des textes incompris ou sortis de leur contexte.
Mêler cette entreprise à une idéologie militante d’une gauche extrême est une manipulation grave. Car l’islamisme meurtrier s’apparenterait davantage à une idéologie totalitaire comme le fascisme qui passerait à l’action en commettant des assassinats au sein d’une société qui rejette cet extrémisme.
Comment ça se fait que l’expression a pris et s’est répandue de manière quasi naturelle dans les milieux politiques allant de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, à Frédérique Vidal et aussi dans les médias?
Vu du Maroc, cela révèle une sorte d’obsession concernant tout ce qui touche à l’islam.
Mais, quand on veut aller vite, on fait appel à un langage flash, une caricature de certaines idées où l’on suscite un sentiment assez répandu d’une méfiance pour ne pas dire haine de l’islam. Il n’y a plus de nuances, plus de distance, plus de réflexion.
Il n’est pas question de défendre la religion, mais d’atteindre un niveau d’indifférence propre à une laïcité bien assumée. Toutes les religions ont eu leurs sectes et leurs déviants. L’islam ne fait pas exception. Mais de là à en faire un danger menaçant la République, il y a une dérive dont la France n’a pas besoin.
Cela étant, l’ignorance fait des ravages chez des jeunes issus de l’immigration maghrébine. Ils ne connaissent rien de l’islam et au nom de cette religion harcèlent leurs sœurs si elles fréquentent des non-musulmans, interdisent à leur entourage la musique et la danse, etc.
Mais cela ne fait pas un mouvement où l’islam et l’extrême-gauche s’allieraient contre les lois de la république.
Ce que cela sous-tend, c’est la fabrication d’un ennemi, représenté par «une machine de guerre» lancée contre la France, ses valeurs, sa laïcité et aussi ses institutions. Et cette machine partirait des universités.
Le gouvernement a demandé au CNRS d’enquêter sur ce qu’il se passe dans les universités. Mais c’est difficile de faire un travail de recherche scientifique sur une notion inventée par quelques politiques et reprise par tous les médias. Il doit bien y avoir quelques éléments se revendiquant d’un islam vengeur et pas seulement dans les universités. Le problème existe mais ce n’est pas une raison pour en faire un spectre qui hanterait le monde universitaire.
L’amalgame entre Islam et islamisme est fréquent. On ne cherche plus à le corriger. Certains hommes politiques prennent des précautions pour ne pas tomber dans ce piège. Mais ils savant que ce qui insupporte une majorité de Français, c’est bien la religion musulmane.
Une photo publiée récemment sur les réseaux sociaux montre une cinquantaine de femmes toutes voilées en noir, en burqa, posant sur l’esplanade du Trocadéro avec la Tour Eiffel au loin, tenant une pancarte «La France de demain». Ainsi, toutes les femmes de ce pays seront des musulmanes prisonnières d’une idéologie totalitaire. Le cliché est violent, mais il en dit long sur les peurs qui gangrènent l’idée qu’on se fait de la religion musulmane.
Il est évident que l’islam, tel qu’il est véhiculé par une minorité qui s’en sert pour rejeter les valeurs de la république, est de plus en plus défiguré, caricaturé et surtout fait peur. Cette peur, légitime, ne vient pas de la religion musulmane, mais bien de l’ignorance qui cultive la haine et le racisme.
Cependant que faire pour dégager l’islam de ce bourbier? L’écrasante majorité des musulmans vivant en France se tait. Par pudeur, par honte, par manque d’habitude de descendre dans la rue et défendre ses idées. Le gouvernement devrait la comprendre et la rassurer. Or, rien n’est fait pour éviter qu’elle soit stigmatisée.
Pendant ce temps-là, Al Qaïda et Daech se reconstituent dans des territoires tombés dans le chaos comme la Libye, l’Irak ou la Syrie. Des adolescents sont recrutés par des soldats de l’hypothétique «Etat islamique». On les prépare à se rendre en Occident faire le malheur des innocents. En ce moment, ce malheur frappe le Mali et le Nigéria. Le drapeau noir flotte sur des terres au nom d’un islam tellement dévoyé qu’il ressemble à un programme de destruction massive et qui n’a rien à voir avec l’idéologie de gauche, qu’elle soit modérée ou extrémiste.