Hymne à la joie, à la fête, à la danse, à l’harmonie.
Hymne à la fraternité, à la beauté, à l’échange et au partage.
Hymne à la magnifique place Jamaâ El Fna qui va enfin être assainie pour devenir un visage, un corps, un concept de rencontres et de paix. Elle redeviendra la place des conteurs, les vrais, ceux qui inventent, qui imaginent et qui créent un univers extraordinaire sous nos yeux.
Rendons d’abord hommage à l’écrivain espagnol, le regretté Juan Goytisolo (1931-2017), qui avait bataillé pour inscrire ce lieu sublime parmi le patrimoine mondial de l’UNESCO (2001). Il avait dû affronter des marchands de biens qui voulaient réaliser des projets immobiliers rapportant de l’argent facile. Il avait dû se battre contre les rouages de l’administration, contre les jalousies, contre la bêtise.
Il a sauvé cette place. Mais il n’avait pas réussi à la débarrasser des imposteurs, des arnaqueurs, des faux guides, des mendiants et des voleurs.
Le touriste qui s’y aventurait risquait non pas sa vie, n’exagérons pas, mais il était la cible d’harcèlements en tous genres. D’où le surnom assez juste «Arnakech».
Avec de la volonté, du travail bien fait, avec un esprit d’initiative et d’inventivité, il est possible de faire de Jamâa El Fna le lieu magique qu’elle aurait dû être depuis toujours.
Il fut un temps où, encore adolescent, j’accompagnais mon père à Marrakech pour son commerce. Il me laissait à Jamaâ El Fna et me récupérait le soir. J’allais de conteur en conteur. Je me souviens d’une femme conteuse en djellaba mais non voilée qui racontait des histoires invraisemblables à une vieille ânesse qui tenait entre ses grosses lèvres un fume-cigarette. Elle fumait allègrement et obéissait à sa maîtresse.
La femme ne s’adressait pas aux touristes mais au public marocain. Elle était à l’aise et nous faisait rire à chaque fois qu’elle s’adressait à l’animal qu’elle avait bien dressé.
Je me souviens aussi des acrobates, Oulad Hmadou Moussa. C’était la place de tous les spectacles.
Plus tard, l’année soixante-dix, l'Ecole de Casablanca avait organisé dans cette place populaire et mythique la première exposition en plein air des peintres marocains, Melehi, Chebâa, Belkahia, et bien d’autres. Pour la première fois, des hommes et des femmes regardaient des tableaux et se demandaient ce que cela signifiait. L’art s’était déplacé et se donnait à voir en plein air. C’était assez audacieux à l’époque.
Cette expérience avait marqué les esprits et aujourd’hui encore, on l’évoque pour parler des débuts des arts plastiques au Maroc.
Jamaâ El Fna va renouer avec sa vocation première, celle d’un art oral et populaire, sans prétention, art instinctif, art brut qui n’a besoin ni de musée ni de scène. La scène c’est la place elle-même, sans limites, sans contours, sans tapage. La scène est à tout le monde, à celui ou à celle qui arrive le premier et réussit à capter durant des heures l’attention d’une foule non préparée à écouter un inconnu raconter des histoires.
Il a fallu le dépôt de plusieurs plaintes de touristes volés, arnaqués, des Marocains, aussi, qui étaient choqués par l’esprit dévoyé de la place et qui voyaient bien que Jamaâ El Fna était devenu la cour des mauvais miracles pour que les autorités réagissent. Il faut ajouter à cela les critiques sur les réseaux sociaux de visiteurs qui ont été malmenés et harcelés.
Le Maroc désire recevoir un nombre important de touristes. Il le désire mais le gouvernement n’a pas retenu une politique, une ligne de conduite. Le taux des retours est très faible. Pourtant que d’étrangers ont été charmés, conquis par la beauté des paysages et déçus par le service que ce soit dans les hôtels ou dans les restaurants et lieux à visiter. Ainsi le travail d’assainissement de Jamaâ El Fna pourrait être un signe d’une nouvelle politique, un prise de conscience, rappelant que l’industrie touristique est une manne financière à ne pas sous-estimer.