Saint-Ex, un homme qui aima le Maroc

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ChroniqueOn croit que tout a été dit sur la Chérifie et Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) mais un nouveau livre, exceptionnellement bien illustré, nous apporte la preuve du contraire.

Le 13/01/2017 à 12h02

«Casablanca est pour moi le Paradis terrestre»; «Dakar? J’y regrette le Maroc qui est le rêve de mes rêves»; «J’ai toujours aimé le Sahara [atlantique]»; «J’étais pleinement heureux sur l’Aéropostale», etc, etc. Si l’amour de «Saint-Ex» à l’égard de sa terre natale, la France -pour laquelle il tomba en mission, au large de Marseille, en 1944- ne fait aucun doute, il est clair désormais, à lire ce nouvel ouvrage et sa moisson de frappantes citations, que notre aviateur littéraire (ou écrivain volant) nourrit une passion ardente pour son pays d’élection qu’on appelait à l’époque l’Empire chérifien.

Ce travail novateur (préfacé par l’ancien ministre marocain Chakib Benmoussa, ensuite ambassadeur de Sa Majesté chérifienne à Paris, et dû à Bernard Bacquié, ancien pilote sur Royal Air Maroc et ex-commandant de bord sur Air France), en moins de 200 pages, toutes splendidement ornées de photos rares en noir et blanc, va plus loin que bien de savants volumes sur le pionnier charmeur de l’aéronautique intercontinentale.

Turbulentes mais fidèles tribusPar exemple, sur le Sahara océanique, alors sous contrôle hispanique, Saint-Exupéry grave, au fil de ses missives, des faits, des choses vues ou entendues, allant la plupart dans le sens de l’appartenance socio-historique au Maroc de cette «Terre brûlée aux vents d’enfer, océan de dunes arides face à l’immensité liquide». Certes, les turbulentes tribus sahariennes n’hésitaient pas, alors, à prendre en otage, et à rendre contre rançon, les aviateurs forcés d’atterrir sur leur territoire mais, à aucun moment, ces rudes populations ne remirent en cause le primat religieux du sultan rbati.

Consuelo absenteSachons gré à Bernard Bacquié de nous épargner les frivolités habituelles, dont se repaissent tant de plumes noircissant du papier, de l’homme-à-femmes que fut notre séducteur aérien… La capricieuse et capiteuse Senora Consuelo, n’est donc citée qu’une fois dans l’ouvrage… Un record… En revanche, la plupart des hommes, qui contribuèrent aux exploits (aériens et intellectuels) puis à la légende de «Monsieur Antoine», sont ressuscités par Bacquié, ainsi le costaud Jean Mermoz, grand lecteur de recettes de cuisine, ou le photographe Art déco Marcellin Flandrin (1) en passant bien sûr par le couple Lyautey ou les souverains belges, Albert 1er et Elisabeth, amateurs eux aussi, et du Maroc et de vols risqués par dessus l’Atlas.

Les «petites mains» présentesLes «petites mains», souvent aussi héroïques que les «grands hommes», mais restées méconnues, ou oubliées, sont présentes également dans le travail de Bacquié, mécaniciens ou baroudeurs, mais aussi les indispensables interprètes, en particulier l’astucieux Ataf ben Béchir, auteur entre autres exploits d’une mission de sauvetage, aussi risquée que réussie, en 1928, en «pays troublé» au Sahara. Le tout sur fond des performances (et d’accidents et de pannes) de notre aviateur, à la fois viril et esthète, romantique et impitoyable, justement surnommé en arabe «Caïd Tayara», le «caïd volant».

A côté de Saint-Ex on tombe également sur des personnages colorés comme le capitaine de frégate Louis Jaurès, frère du fameux pacifiste Jean Jaurès, assassiné par un va-t-en-guerre en 1914 ou encore le fils du roi du sucre en Europe, Lebaudy, et qui se proclama «empereur du Sahara», avant de finir chez les fous… Sans parler d’anecdotes typiquement sahariennes, comme ces braves mécanos à la recherche des boulons d’un avion en réparation, boulons avalés par des autruches en maraude…

Présence de Saint-ExLecteurs de Casa et d’ailleurs, si vous êtes touchés par le tropisme marocophile du romancier volant, souvenez-vous que dans la Ville blanche on a la chance de pouvoir regarder, outre le rond-point Art déco Antoine-de-Saint-Expupéry, l’hôtel Excelsior, face à Bab Marrakech, qui fut en 1916, le premier palace du grand port ou encore, derrière cet hôtel, l’immeuble Glaoui où séjourna également le célèbre aviateur. Même le Petit Poucet, restaurant où Saint-Ex eut ses habitudes, existe toujours à Casablanca, bien qu’il ait changé d’adresse.

• «Saint-Ex au Maroc» par Bernard Bacquié. Préface de François d’Agay, président de la Fondation Saint-Exupéry pour la jeunesse. 36 € avec le port/www.editionslaterales.com/ bernardbacquie@neuf.fr(1) Grâce au mécénat de la Fondation Banque populaire, le Maroc possède des milliers de clichés de Flandrin, dont une partie a paru en 2012 dans l’album «Un demi-siècle de photographie au Maroc. 1907-1957».

Par Hugoz Péroncel
Le 13/01/2017 à 12h02