Ma mère habite place Gallieni à El Jadida. Cette information n’est pas d'importance planétaire, j’en conviens, et d’ailleurs elle contient une inexactitude: la place Gallieni se nomme en fait Abdelkrim al-Khattabi depuis quelques décennies. Personne ne semble s’en être rendu compte. On continue donc de faire référence au général français, grand colonialiste, massacreur des Menalamba à Madagascar, plutôt qu’au héros de la guerre du Rif.
Ça n’a aucune importance. Les quelques personnes que j’ai interrogées au café qui jouxte la boulangerie Aline, sur la place en question, n’en savaient pas plus sur l’un que sur l’autre. Il y a quelques lacunes dans l’enseignement de l’Histoire sous nos cieux.
Pardon pour ces digressions. Je voulais parler d’autre chose, en fait.
Place Gallieni, pardon: place Abdelkrim, la maison de ma mère est mitoyenne du minaret d’une mosquée. Autant dire que chaque nuit, à l’approche de l’aurore, le muezzin me réveille de sa voix de stentor amplifiée par la technique coréenne ou chinoise pour me rappeler que c’est l’heure de se prosterner pour rendre grâces au Très-Haut. Comme on le sait, des cinq appels quotidiens à la prière celui-là contient une précision supplémentaire répétée deux fois: “la prière est meilleure que le sommeil”.
Non, non, non, je ne vais pas déclencher ici une polémique sur la nécessité de conserver cette institution, le muezzin en chair et en os, née il y a plus de mille ans dans les déserts d’Arabie alors qu’il est facile, aujourd’hui, d’installer une appli sur son portable et d’avoir ainsi son propre muezzin sans réveiller le quartier tout entier.
Non, non, non, je ne vais pas m’ébahir du fait que les Saoudiens (les Saoudiens!), d’habitude plus-musulman-que-moi-tu-meurs, ont récemment supprimé l’appel de l’aube au prétexte qu’il réveille de façon intempestive les bébés et les malades -et pourtant nous ne semblons pas envisager de faire comme eux.
Non, non, non, je ne vais pas rappeler qu’il y a quelques années une ministre courageuse avait suggéré d’imposer un niveau maximum de décibels aux mosquées -elle s’était fait lyncher, la pauvre.
Non. Je veux parler d’autre chose. Il y a quelques semaines, j’étais allé dîner dans le meilleur restaurant d’El Jadida, celui de mon ami Éric B. (publicité gratuite), et j’avais été frappé par la beauté de la voix du chanteur qui y anime certaines soirées. Comme je m’en émerveillais, Éric m’apprit que l’artiste avait été demi-finaliste de The Voice (arabe).
Or, pour en revenir à ce dont nous parlions avant que j’aille dîner, ce qui me dérange dans l’appel à la prière qui résonne aux aurores place Gallieni, c’est que la voix du muezzin est rauque, râpeuse et gutturale. La sono n’arrange rien: effet Larsen, sifflements, distorsions… Le type, mal réveillé, n’articule pas: il hurle son appel comme un sergent d’instruction dans un film d’Oliver Stone. On dirait qu’il nous engueule. Bref, au lieu de nous rapprocher de Dieu, il nous en éloigne: n’y a-t-il pas quelque part un hadith qui dit: “Dieu est beau et aime la beauté”?
La solution de ce problème -car c’en est un- me semble évidente.
1) Il faut faire enregistrer l’appel à la prière par le vainqueur de The Voice (arabe) ou au moins par le demi-finaliste (puisqu’il habite dans le coin). Articulation précise, modulations enchanteresses, voix de velours…
2) Il faut fournir un matériel acoustique dernier cri aux mosquées. Le mot d’ordre doit être: pas de camelote pour Dieu! Rien que le meilleur, la high-tech fût-elle à prix d’or, pour le samii’ al-moujiib, l’Audient par excellence -et qui répond, en plus. Ne cassons pas les oreilles à Dieu ni à ses créatures! Les bienfaiteurs -les fameux mouhssinine- pourraient être mis à contribution pour l’achat d’un matos proprement divin.
Ainsi nous serions réveillés aux aurores par une voix qui semblerait sortir du Paradis. Il y aurait de quoi convertir à l’islam le plus endurci des voltairiens, le plus endormi des sceptiques. Plus personne ne se plaindrait et chacun pourrait attaquer la journée avec joie et alacrité, l’esprit encore charmé par la voix du muezzin.
Cioran disait: “Bach a beaucoup fait pour Dieu.” Vienne le temps où, réveillés chaque matin par une voix d’ange préfigurant les harmonies célestes, nous pourrons nous écrier, ravis: “le muezzin a beaucoup fait pour Dieu!”