Rassurez-vous, je ne vais pas parler des vieux kroumirs qui sont à la tête de leur parti politique ou de leur syndicat depuis l’année du typhus: les zaïm-s indétrônables, les lider maximo éternels, les conducator à vie.
Non, il s’agit ici des vrais dinosaures, ceux qui donnaient des noms latins à leurs enfants: Rebbachisaurus, Deltadromeus, Carcharodontosaurus saharicus, etc. (On suppose qu’ils usaient de diminutifs –Rebba’, Delta’, Carcha’– sinon, le temps qu’ils aient fini de les appeler, le dîner avait déjà refroidi.)
De la même façon que nul ne comprend pourquoi il y a tant de phosphate au Maroc (c’est ce que les spécialistes nomment un “scandale géologique“), nul ne sait pourquoi tant de grosses bébêtes avaient choisi ce qui allait devenir un jour l’Empire chérifien pour y chauffer leurs vieux os.
Mais c’est un fait. C’était le Bronx, ici, il y a quelques centaines de millions d’années, avec les bandes rivales de Rebba’, de Delta' et la pire, celle de Carcha' Saharicus. Ça castagnait dur, dans tous les coins. Vous me dites que la plupart de ces monstres étaient herbivores, donc placides. Ouais. J’aimerais bien vous voir croiser, dans la savane, un herbivore de 120 tonnes.
Même le plus tatoué des voyous de Casa n’aurait pas survécu une heure dans un tel environnement. Mais, heureusement, l’homme a eu la sagesse de n’apparaître que plusieurs millions d'années après l’extinction des dinosaures. Celle-ci a eu lieu il y a 65 millions d’années et homo sapiens est apparu il y a trois cent mille ans. Il y a de la marge.
Et comme ledit homo sapiens est apparu au Maroc, à J’bel Ighoud, nous autres Marocains, ses descendants, en sommes très fiers. Grand-père est l’ancêtre de l’humanité. On devrait nous donner les passeports de tous les pays du monde. Plus besoin de h’rig. Sans nous, vous n’existeriez même pas, Suédois.
Cela dit, il y a quelque chose qui m’étonne toujours quand je regarde, comme je l’ai fait la semaine dernière, la énième rediffusion sur Al Aoula de l’excellent documentaire que Arte et la SNRT ont consacré à ce sujet. Ne faisons-nous pas preuve de schizophrénie en célébrant nos dinosaures et notre homme d’Ighoud, tout en accordant à l’imam du coin le droit de contredire Darwin, la paléontologie, la science?
Pour être logique avec nous-mêmes, nous devrions décréter une division stricte du travail: aux hommes de science, le comment des choses –comment l’Univers a commencé (le Big Bang), comment la Terre s’est formée, comment les dinosaures sont apparus puis ont disparu (la fameuse météorite de Chicxulub et les volcans du Deccan), comment l’Homme moderne a émergé au bout d’une longue chaîne d’hominidés, etc. A l’imam, le pourquoi (la volonté divine) et tout le tafsir et le kalam afférents.
Aux uns le “comment“, aux autres le “pourquoi“. Ne serait-ce pas plus intelligent et plus propice à la coexistence pacifique des descendants de l’homme de J’bel Ighoud?
Ce n’est qu’une idée.
Espérons qu’elle fera du chemin, dans la savane, sans périr au bout de quelques minutes sous le lourd sabot des brutes habituelles –et là, je ne parle pas des dinosaures.