Puisque les Américains sont devenus nos meilleurs amis, il est temps de leur apprendre que non seulement le Maroc a été le premier pays à reconnaître officiellement les États-Unis (en 1777) –ce qu’ils savent déjà– mais qu’en plus il a grandement influencé leurs conceptions religieuses, par le biais des Quakers– et ça, ils ne le savent pas. Les Quakers, ces protestants d’un genre particulier, ont joué et continuent de jouer un rôle important outre-Atlantique. Deux Présidents en étaient: Herbert Hoover et Richard Nixon. Joan Baez (vous vous souvenez, celle qui chantait avec Bob Dylan?), l’acteur mythique James Dean, l’actrice Judi Dench, l’écrivain James Mitchener, Cadbury le chocolatier, Johns Hopkins le philanthrope dont une université fameuse porte le nom, etc.: tous des Quakers!
OK, on a compris, me dites-vous –mais quel est le rapport avec le Maroc?
Eh bien, il se trouve que dans son Apology For The True Christian Divinity (1678), qui est une sorte de Manifeste des Quakers, Robert Barclay fit l’éloge d’une histoire «traduite de l’arabe, d’un certain ‘Hai Ebn Yokdan’ (sic) qui sans le moindre contact avec les hommes, vivant seul dans une île, atteignit une connaissance profonde de Dieu; et établit que le meilleur moyen, et le plus certain, de connaître Dieu n’est pas de le faire par le raisonnement mais par la conjonction de l’esprit humain et de l’Intellect suprême». Et c’est ainsi que ce “roman arabe“ est devenu un texte de référence des Quakers.
Il s’agit bien sûr du conte philosophique Hayy Ibn Yaqzân de Ibn Tofayl. Médecin du calife almohade Abou Yaqoub Youssouf, Ibn Tofayl repose dans un cimetière de Marrakech depuis l’an 1185.
On peut ne pas être d’accord avec l’interprétation de Barclay –le raisonnement joue un grand rôle, me semble-t-il, dans Hayy– mais le fait n’en reste pas moins remarquable: l’œuvre d’un cadi maroco-andalou est devenue un texte canonique pour les Quakers… Il est vrai que la notion de “lumière intérieure“ (light within, inward light, inner light, etc.) joue un grand rôle chez eux. S’asseoir en silence, méditer jusqu’à être pénétré par la “lumière intérieure“, c’est ce que faisaient leurs anciens– et c’est ce que fit Hayy dans sa grotte…
Eh bien, asseyons-nous dans notre grotte confinée et méditons un instant sur le fait qu’il fut un temps où nos penseurs rayonnaient jusqu’aux lointains rivages américains. Ces temps reviendront-ils? Espérons-le.
En attendant, soyons pratiques: organisons des pèlerinages de Quakers sur la tombe d’Ibn Tofayl à Marrakech.
Vous me dites: «encore faudra-t-il la retrouver, camarade. On n’honore pas trop le passé dans notre pays».
Bah, n’importe quelle tombe fera l’affaire, pourvu qu’elle soit élégante et bien entretenue. C’est l’intention qui compte.
Welcome to Marrakech, dear Quakers, welcome!